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11/04/2015

UN CINE DEBAT AUTOUR DE "SPARTACUS ET CASSANDRA"

Un ciné-débat était proposé par l'Association Ciné-Cinéma à Périgueux le mardi 7 avril en partenariat avec Amnesty International et Réseau Education Sans Frontières autour du film "Spartacus et Cassandra" de Ioanis Nuguet, un film sorti en février 2015 qui remporte un réel succès avec 46 000 spectateurs pour débuter sa 9è semaine d'exploitation. Ce film faisait notamment partie de l'excellente et exigeante sélection de l'Acid à Cannes en mai 2014.

Deux jeunes Roms, Spartacus, 13 ans et Cassandra, 10 ans, sont recueillis, après l'incendie de leur squat, par une jeune femme de 21 ans, Camille, qui a monté son chapiteau de cirque en Seine-Saint-Denis où vivent des Roms. Les problèmes psychologiques de la mère et l'alcoolisme du père, leurs difficultés éducatives ont incité Camille à solliciter l'accord de l'Aide Sociale à l'Enfance pour les héberger et s'en occuper.
On devine au fur et à mesure la situation de ces enfants, centre d'un film tourné à leur hauteur. Ils racontent eux-mêmes leur histoire comme le chante, dès les premières images du film, Spartacus qui fait du slam et énumère ses différentes expériences malheureuses vécues depuis sa naissance : "À un an, je marchais déjà. À deux ans, je mangeais de la terre. À trois ans, mon père était en prison. À quatre ans, je faisais la manche avec ma sœur...". Le film a été l'occasion de solliciter leurs propres textes et donc leur voix off pour entrer dans une intimité rarement filmée, pour pénétrer dans leur monde : "ça passe, ça passe comme ça, chez les Roms, chez les Roms, les Keufs vont clac, clac, sortez d'la baraque, 6h du mat', revolver, matraque, bombe lacrimo, pan, pan, défoncent la porte avec un bélier, ils arrivent, mains en l'air, bougez pas, personne s'ra blessé, pièce d'identité". A aucun moment, n'est filmé ce genre de scène, si ce n'est des policiers postés devant le camp entrevus par Cassandra derrière le rideau de la caravane. La musique suffit à imaginer la violence racontée par un adolescent.

Lors du débat, il a été rappelé par la représentante d'Amnesty International qu'une circulaire inter-ministérielle avait été promulguée en 2012 censée restreindre les expulsions alors qu'elles ont augmenté en 2013. La situation dramatique des Roms a poussé l'association à produire un rapport par an depuis 2012 ("Chassés de toutes parts" en novembre 2012, "Condamnés à l'errance" en septembre 2013 et "Nous réclamons justice" en avril 2014). Bien souvent, les Roms souhaitent la sédentarisation mais les expulsions les en empêchent, ce qui rend aussi compliqué l'accès aux droits communs, selon JM Cherbero de RESF. 
Le droit de propriété est un droit absolu, inaliénable, sacré auquel se heurte le droit au logement qui ne bénéficie pas d'un tel statut constitutionnel. Quelques rappels de chiffres ont été faits par Amnesty International : les Roms migrants seraient 15 à 20 000 voire 40 000 selon des chercheurs. En revanche, les gens du voyage seraient environ 400 000. Si, comme le dénonce JM Cherbero, on peut entendre un Premier Ministre expliquer que "les Roms ont vocation à rentrer en Roumanie", la représentante d'Amnesty a martelé que justement, ils avaient vocation à rester en France. Et pourtant, il a fallu attendre 2012 pour qu'il y ait un assouplissement des conditions d'embauche pour les Roumains et Bulgares, principales nationalités des Roms, alors que ces deux pays étaient rentrés dans l'Union Européenne depuis 2007, comme il a été rappelé lors de cette soirée. Les Roms viennent souvent en France d'abord pour la scolarisation des enfants puis pour l'emploi. Malgré tout, la scolarisation est difficile, comme l'évoque l'ancienne directrice de l'école André Boissière de Périgueux se souvenant d'un jeune Rom qui ne venait qu'une fois par mois au début. Or, croyant à la pédagogie par projet, elle a expliqué comment, de cette manière, avec le projet Théâtroloupio, elle avait pu avec ses collègues l'emmener vers la scolarisation. Un logement attribué à sa mère avait certes amélioré les conditions de vie mais avait dû, de ce fait, l'obliger à changer d'école et faute d'intégration dans un nouveau projet, il était reparti faire l'école buissonnière. Dans ce film, c'est le cirque qui est un facteur d'intégration. On a regretté l'absence de Frédéric Durnerin, retenu pour raisons professionnelles, qui aurait pu parler de cet art qu'il développe dans le centre culturel, l'Agora, dont il est le directeur.
C'est d'ailleurs dans une soirée cabaret au Chapiteau Rajganawak que le réalisateur a rencontré Spartacus qui, du haut de ses 12 ans, l'a incité à faire ce film. En 2009, Camille décide d'implanter son chapiteau dans le campement du Hanoul à Saint Denis où vivent une centaine de familles roms. Son idée est créer un lieu, un cirque, où les enfants « du dedans et du dehors » arriveraient à se retrouver et se connaître. Cassandra et Spartacus font partie de ces enfants qui bénéficient de cours de musique et de trapèze. Cependant, en août 2010, le camp est détruit et les familles expulsées. Certaines arrivent à s'enfuir et créent un nouveau camp, sur les parcelles du Passage Dupont. Par solidarité, Camille reste avec eux et propose aux 2 enfants de les héberger.
Ioanis Nuguet raconte, dans une émission de France Inter, http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=1066799, que Spartacus est venu vers lui, lui demandant de le filmer. Il a chanté ce rap. Le personnage l'a fortement impressionné :
Je me présente, je m'appelle Spartacus
Ma vie est comme des montagnes russes.
Je me suis exilé pour devenir rappeur.
Je me suis exilé là-bas en Angleterre.
Là-bas, c'est mieux qu'ici,
Les gitans, on leur dit merci
Là-bas, y'a les lovés.
On galère pas pour la money.
Je m'appelle Spartacus,
Ma vie est comme des montagnes russes.

Spartacus ne l'a pas lâché pendant plusieurs jours lui demandant d'abandonner son film en cours. Si le réalisateur estime être venu tardivement au cinéma (il dit l'avoir décidé vers l'âge de 24 ans), il n'a pas perdu son temps auparavant et ce qu'il a fait semble avoir influencé son cinéma. De 2000 à 2002, il part en Indonésie apprendre la danse et le théâtre balinais et crée des spectacles à son retour en France, fruit de cette expérience. Après un court métrage en 2010 et 3 ans passés à filmer dans les camps roms en Seine-Saint-Denis, il est convaincu par Spartacus de faire ce film et de lâcher celui plus politique qu'il avait entrepris. 15 jours après la rencontre avec Spartacus, le tournage commence.
Le réalisateur explique qu'il a passé beaucoup de temps à se demander comment filmer. On voit la caméra bouger beaucoup, tourner comme dans un cirque, danser presque, rappelant son passé chorégraphique en Indonésie, s'attarder sur des objets formant ainsi des touches impressionnistes.
Comme l'indique la représentante de Ciné-Cinéma en guise de présentation, le film est un conte documentaire. En effet, la poésie et le réalisme, le conte et le réel se mêlent étonnamment. Des prénoms, d'abord, sortis tout droit de l'Antiquité et de la mythologie. Une histoire terrible et bien réelle, où des enfants, comme beaucoup d'autres et pas seulement des Roms (il faut se méfier d'ailleurs des généralisations, l'a-t-on rappelé dans le débat), sont confrontés à des parents en difficulté éducative. C'est d'ailleurs une histoire de famille qui semble prendre le pas dans ce film sur une histoire liée à une nationalité : entre un père dévoré par l'alcool dont le projet de vie est de mendier et d'emmener vivre ses enfants sur un terrain ou en Espagne (sûrement pour construire quelques châteaux) et une mère, véritable pietà ou mater dolorosa, "le fol esprit" du film comme le dit son réalisateur, elle dont son fils dit "il n'y a rien entre son coeur et le monde". Cela fait dire à Spartacus s'adressant à son père : "On ne peut rien attendre de toi" et plein de rage mêlée de larmes : "Qui m'a donné des parents pareils?".
La fiction aussi mélangée au conte quand on voit Camille, la bonne fée, parler sans ambages à Spartacus lui rappelant les règles de la vraie vie, tout en le confrontant à des choix que l'on réserve ordinairement à des adultes mais qui, dans les contes, sont attribués aux enfants. En effet, leur destinée se trouve entre leurs mains. Le dossier de presse en rend compte : "le conte opère un renversement des rôles traditionnels attribués habituellement au père et à la mère : c’est maintenant l'enfant qui a charge de sauver sa famille, de subvenir à ses besoins ou d'empêcher sa décrépitude. Grossièrement, dans le conte, les enfants doivent devenir les parents de leurs propres enfants".
http://www.nourfilms.com/v2/wp-content/uploads/SPARTACUS-CASSANDRA_DP_Web.pdf
La bonne fée est filmée du point de vue des enfants, comme si elle agissait en fonction de la place qu'ils souhaitaient lui donner dans leur parcours initiatique. Volontairement donc, le réalisateur maintient un flou sur ses intentions, sur ses attitudes (dure, exigeante, rassurante, aimante) car seuls les enfants peuvent décider du rôle que Camille va jouer : fée ou bien sorcière. Sorcière car ils doutent d'elles à certains moments, surtout Spartacus, l'assimilant à un monde d'inconnus malintentionnés, sorcière car ils doivent franchir des étapes, des épreuves presque, et s'ils échouent, ils risquent de se retrouver à la rue. Toutefois, il semblerait que la fée ait triomphé car, même si le rap de fin chanté par Spartacus est plutôt pessimiste, il n'a pas auguré la suite de leur vie. La représentante d'Amesty Internationale a donné des nouvelles des enfants :  Cassandra poursuit en scolarité en 4ème et Spartacus est au lycée auto-géré de Paris, alors que, comme il le chante dans son rap, "la prof m'a annoncé que j'pouvais pas aller au lycée". Le conte s'est poursuivi hors du film.

Texte : Laura Sansot

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