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17/11/2015

RENCONTRE DES SPECTATEURS DE L'AGORA AVEC ANTOINE BOUTET POUR LE CINE-CONCERT " SOUTH TO NORTH"

A l'occasion du ciné-concert "South to North" à l'Agora de Boulazac élaboré à partir du film "Sud Eau Nord déplacer" le 12 novembre, son directeur Frédéric Durnerin invitait le réalisateur, Antoine Boutet, pour une rencontre avec le public. Ce type de rencontre devait se renouveller d'ailleurs le 17 décembre pour le spectacle  "Femme non-rééducable". Quant au film, il serait projeté plusieurs fois en Dordogne à l'occasion du Mois du Film Documentaire.

"South to North" est une création en partenariat technique avec Ciné-Passion et la compagnie Ouïe-Dire (les noms de Marc Pichelin et Kristof Guez ont été évoqués) qui est née en 1994. La dernière création de cette compagnie, "Potages et potagers", est le 3è volet de la trilogie gastronome, une manière de montrer comment les territoires ruraux évoluent, en allant à la rencontre de jardiniers et cuisiniers de l'Aveyron. http://ouiedire.com/creations/potages-et-potagers/ Le spectacle sera présenté en mai 2016 à l'Agora.
Formé aux Arts décoratifs de Paris, le réalisateur, né en 1968, était déjà venu en résidence au centre culturel en 1999 et avait, par son travail, porté "un regard fin et sensible sur la manière dont les liens peuvent se faire au sein de la Cité", a expliqué le directeur du centre culturel. Depuis, il a voyagé, réalisé un film sur un ermite, "Le Plein Pays" (2009) car "son travail s'intéresse aux gens et fait écho à plusieurs spectacles programmés cette année à l'Agora", a-t-il poursuivi.
Antoine Boutet et la compagnie Ouïe-Dire, composés d'une majorité de musiciens, se sont croisés en Chine. Ils se connaissent depuis une quinzaine d'année. Kristof Guez en fait partie et intervient depuis une quinzaine d'années comme photographe. Depuis 4 ans, la compagnie est hébergée par l'Espace Britten. Elle a organisé pendant 3 ans un festival "Sonotone" de musiques contemporaines et expérimentales mais aussi des expositions en lien avec les lieux culturels de Périgueux. Si elle n'a pas organisé de festival cette année, elle a souhaité néanmoins programmer un évènement avec l'Agora. L'idée a germé d'associer Andy Moor et Yannis Kyriakides avec le réalisateur.
photo extraite de : http://www.sudouest.fr/2012/10/23/balade-a-vientiane-858211-4608.php
Antoine Boutet se souvient de son passage à Boulazac, il y a plus de 15 ans, pour une résidence un peu en marge de son activité de plasticien d'alors pour une exposition "Vue imprenable". Pendant 3 mois, il a arpenté les rues, s'est intéressé à la manière dont la ville se construisait à l'époque, comment les gens y vivaient en allant à leur rencontre, en les interrogeant sur la manière dont était organisée la ville auparavant. Il a poursuivi ce travail par des interventions sur l'espace public, invité par des villes ou des festivals. 
Depuis une vingtaine d'années, il utilise aussi la vidéo pour faire des documentaires à projeter dans des salles d'exposition avec des scénographies et sonorisations. Toutefois, au bout d'un certain temps, il reconnaît s'être interrogé sur la position de l'artiste qui arrive quelque part, regarde et donne son point de vue.  Il s'est dit que plutôt que d'aller dans une ville et pointer les dysfonctionnements, il était préférable d'aller observer comment un grand projet pouvait être mis en place sans interpréter. Il est donc parti en Chine en 2004-2005 étudier le barrage des Trois Gorges et la manière dont il allait modifier la vie des gens, détruire des villages et créer des villes. Son regard se portait sur le paysage et l'architecture. Cela a donné lieu à un travail vidéo très photographique qui offrait une vue globale de ce qui était en train de se passer en Chine. Le contexte très sensible à l'époque l'avait contraint à rester en retrait et avait produit un travail très contemplatif fait essentiellement d'impressions. Le montage, donnant lieu à une installation vidéo projetée sur deux écrans présentée au Musée des Abattoirs de Toulouse en 2006, avait fait apparaître l'idée d'un documentaire. Il a alors condensé les deux films en un seul d'une demi-heure, "Zone of initial Dilution". Celui-ci a commencé à être montré dans les festivals avec des retours très positifs. Il a circulé pendant 2 ans. Toutefois, dans le monde du documentaire, on évoquait son travail comme un film d'artiste et dans le milieu des arts plastiques comme un film documentaire, s'en amuse aujourd'hui son réalisateur. 
Antoine Boutet
 source : unifrance.org
En 2005-2006, le programme de dérivation des eaux dont il avait entendu parler à l'époque lui donnait l'occasion d'aller plus loin, de voyager dans des régions peu touristiques et même jusqu'au Tibet, l'idée étant de suivre la construction des 2 voies de chacune 1400 kms et la troisième de 300 kms. Au fur et à mesure que le projet avançait, Antoine Boutet réalisait la complexité du sujet et souhaitait ne pas faire uniquement un film réalisé par un étranger mais aussi un film qui apporte des éléments de réflexion aux Chinois eux-mêmes. Alors que l’entreprise devait durer 3 ans, elle s'est déroulée de 2008 à janvier 2015, date de la sortie du film, du fait de la difficulté à trouver des financements. Malgré tout, elle a permis de voir émerger la forme du long-métrage de cinéma documentaire. Le film dure 2h et alterne prises de vue de chantiers, entretiens avec des personnes de la société civile, soit des moments de tension et des moments contemplatifs. Il est depuis sa sortie l'objet de nombreuses rencontres-débats (environ 70) avec le public sur des thèmes comme les Droits de l'Homme, la Chine en profonde transformation ou, en ce moment, la COP 21. Quant à la musique, même si elle est peu présente dans ses films, elle a pris davantage de place : face à la saturation de plans fixes, il a voulu essayer d'ajouter des éléments musicaux qui pouvaient lier ces plans. Bien que ne pensant pas les garder, il les a finalement conservés, sensible au rendu onirique qu'ils engendraient. Au final, le film comprend 3 sessions de musique réalisés par Andy Moor et Yannis Kyriakides, deux musiciens néerlandais qui devaient participer au festival Sonotone et qui ont finalement assuré l'accompagnement sonore du ciné-concert du 12 novembre. Pour l'occasion, un montage de 1h15 a été refait à partir du film de 2h. Andy Moor est guitariste du collectif punk néerlandais The Ex et du groupe britannique Dog Faced Hermans tandis que Yannis Kyriakides est un "compositeur et artiste sonore" qui tente de "créer de nouvelles formes hybrides mêlant théâtre musical, multimédia et installations électroacoustiques". Antoine Boutet s'est félicité de la riche collaboration que permettait ce spectacle et des conditions techniques exceptionnelles.

Le film se développe autour du projet Nan Shui Bei Diao (littéralement Sud Eau Nord Déplacer). En effet, la Chine possède des ressources en eau considérables mais aussi des besoins qui le sont tout autant. Le Nord est particulièrement affecté par le manque d'eau. Aussi, en 1952, Mao Zedong a-t-il l'idée de transférer l'eau du fleuve Yangtze, 3è plus grand fleuve du monde et le plus grand d'Asie, du Sud vers le Nord, soit près de 45 milliards de m3 d'eau douce, par l'intermédiaire de trois voies. Le projet est finalement avalisé en 2002. Les deux premières voies sont réalisées. Il s'agit de la voie orientale qui transporte sur 1150 kms l’eau du Yangtze au nord de Shangaï puis remonte à Pékin en suivant le tracé de l’ancien canal impérial, dotée de 30 stations de pompage et de la voie centrale sur 1241 kms qui part du barrage des Trois Gorges et alimente le centre de la Chine frappé par des sécheresses chroniques et Pékin. Elle est surélevée et s'écoule donc par gravitation vers la capitale. Quant à la 3è voie, la voie occidentale, c'est la plus courte (300 kms) mais la plus complexe à réaliser du fait notamment des hautes altitudes. La fin des travaux est prévue en 2050. Elle doit acheminer, dans une région sismique, l'eau du plateau tibétain au fleuve Jaune grâce à 7 barrages et tunnels. La 1ère voie est la plus polluée, malgré les infrastructures pour dépolluer, et l'eau se révèle tellement coûteuse que certaines villes la refusent. Il n'empêche que Pékin manque cruellement d'eau et la situation devient alarmante. Les travaux doivent coûter 80 milliards de dollars dont 1/3 en faveur de la 3è voie. Ils sont une manière de resouder le pays autour d'un projet commun qui contribuera à maintenir le PIB et affirmer la puissance du pays. Toutefois, le film donne à voir l'envers du décor : les conditions de vie, les déplacements de population (350 000 personnes sont concernées), la déforestation, l'augmentation des risques de catastrophes naturelles...
extrait de : http://www.zeugmafilms.fr/crbst_107.html 
Quand un auditeur a demandé comment le réalisateur avait réussi à conjuguer avec le pouvoir pour réaliser son film, celui-ci a argué le fait d'avoir travaillé sur la durée, s'être intéressé d'abord aux paysages et à l'architecture avant la société civile, d'avoir utilisé des moyens réduits (traductrice, chauffeur, assistante et petite caméra). Même sans autorisation, il a pu, grâce au temps passé, rencontrer progressivement des gens impliqués et trouver les moyens de ne pas les mettre en danger. Alors qu'en France, il n'aurait pas été possible d'entrer sur les chantiers, cela a été possible en Chine où la surprise de voir débarquer des étrangers dans des lieux improbables permettait quelques discussions et prises de vue avant de se faire refouler. Les images sont sorties clandestinement du pays où le film n'a pas donné lieu à une projection. Quand le film est sorti en première mondiale au festival de Locarno en 2014, les autorités chinoises ont choisi de visionner le film de leur compatriote plutôt que celui d'un Français comme Antoine Boutet qui reconnaît la difficulté d'être un documentariste en Chineil n'est pas retourné.  

Le film se compose de deux parties. L'une est assez contemplative et silencieuse. Elle se rapproche du dispositif de l'installation vidéo, faite de plans larges où l'homme apparaît comme écrasé par l'infini des paysages en train de se transformer et par les slogans politiques censés fédérer le peuple comme "les gens de la plaine aiment le parti communiste" ou "apporter le bonheur aux générations futures". L'autre partie part à la rencontre de personnages comme un contre-révolutionnaire emprisonné pendant 19 ans, M. Na, des expropriés qui dénoncent la corruption des gouvernants, des paysans relogés qui ne peuvent exploiter les terres octroyées, Tiger Temple, un cycliste blogueur qui témoigne de ce que subit la population, Woeser, écrivaine et poétesse tibétaine qui montre combien le projet vient mettre à mal la relation que les Tibétains entretiennent avec leur environnement...Cette construction illustre la manière dont le tournage s'est réalisé : d'une appréhension du projet d'abord par le paysage puis par les hommes, soit un parcours vers l'intimité, tout en incluant une expérience personnelle du tournage (le nageur ou un militaire qui s'adressent au réalisateur). C'est l'un des intérêts du film que de créer les conditions de la rencontre avec les populations, victimes d'un projet pharaonique imposé sans concertation démocratique, mais qui pourtant résistent en vivant malgré tout, en fléchissant, en croyant en la force de la littérature, cette immatérialité qui semble s'opposer à la matérialité des blocs de béton, dans un film qui parvient magnifiquement à saisir les contrastes et allier critique politique et ambition artistique. L'improvisation musicale qui accompagnait le film, objet d'un nouveau montage, contribuait à mettre en valeur la force de ces images.

 Texte : Laura Sansot

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