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14/12/2015

PARCOURS CONTE A DOUZILLAC

Le 29 novembre, le CRAC organisait en partenariat avec la commune de Douzillac un parcours conté constitué de deux parties : une balade autour de quelques lieux historiques du village commentée par quelques-uns de ses habitants puis un spectacle de la conteuse Monique Burg.

Comme l’a expliqué l’un des enfants (devenu grand) de la commune, Paul Mariuzzo-Raynaud, réquisitionné pour emmener le petit groupe vers les différents lieux, l’idée était de « faire participer les mémoires locales ».
 
Ainsi, André-Pierre Chavatte, auteur de plusieurs ouvrages et à ce titre présent au salon du livre organisé ce jour-là à Douzillac, a évoqué son ouvrage sur les 192 poilus, originaires de Douzillac ou présents dans la commune lors du recensement, partis à la Grande Guerre : Douzillac. Parcours de poilus
 
Sur ce nombre, 49 sont morts au combat, soit environ 25% des personnes envoyées au front entre 18 et 43 ans. Une famille avait vu mourir ses trois fils dans les tranchées. Le monument aux morts a été érigé en 1926 suite à un appel d’offres remporté par une société du Nord de la France dont les conditions stipulaient que les matériaux et la main d’œuvre utilisés ne devaient en aucun cas être allemands ! Il aura fallu 8 ans de délibérations pour aboutir à ce monument réalisé à l’autre bout de la France. 
Un important travail de recherche aux Archives départementales a été mené par l’auteur qui s’est rendu sur les tombes de Douzillac et Notre-Dame-de-Lorette dans le Nord.
La place a vu l’ouverture d’un restaurant Le Moneta en 2008 dans un bâtiment qui accueillait autrefois la famille Durieux : le maréchal-ferrant devenu tenancier de bar dans lequel une habitante a, avec humour, suggéré qu’il « valait mieux boire dans les bouteilles que dans les verres ». Dans les années 1830, y étaient hébergés les écuries et le presbytère. 
Quant au cimetière, il était à côté de l’église, ce qui n’a plus été le cas à partir de 1843. L’église a été agrandie au XVè siècle suite à la Guerre de Cent Ans puis remaniée aux XIXè et XXè siècle. Les deux saints du village sont St Barthélémy et St Vincent, patron des vignerons car la vigne poussait sur la commune avant l’arrivée du phylloxera. 
A été évoqué aussi la figure du Capitaine Maine, originaire de Mussidan, enterré au cimetière de Douzillac, qui a fait, en tant que caporal, la bataille de Camerone au Mexique au cours de laquelle 65 légionnaires ont combattu vaillamment pour se retrouver au nombre de 5 ou 6 face à 2000 Mexicains, le 30 avril 1963. Depuis les années 1960, début mai, l’Amicale des Anciens de la Légion Etrangère se rend au village pour célébrer l’anniversaire de ce combat.
Puis, le groupe s’est dirigé vers Guilhem Bas en s’arrêtant à la fontaine de la Fontigue ou à l’Abreuvoir, au lieu dit Le Derrot (le roc, ro en occitan, le rocher), car jusque dans les années 1960-70, quand il y avait encore de la polyculture, les animaux venaient y boire, s’y attardaient parfois en rentrant le soir. 
Le groupe s’est retrouvé au lavoir de Guilhem réhabilité à la fin des années 1990, occasion d’apprendre que le village comptait de nombreux lavoirs, sources, fontaines, prétexte à une balade possible de 12 kms, la balade des 15 sources. Ces curiosités étaient liées à l’animal fétiche du village, la salamandre tâchetée, aussi emblème du club de foot local, que l’on retrouve sur une tour du château de Mauriac. Elle était l’emblème de François 1er. Un habitant de Douzillac, féru de faune et de flore, publie d'ailleurs chaque mois un billet sur ces thèmes http://douzillacmonvillage.fr/category/faune-et-flore/. Il a ainsi fait un écrit au sujet de cet amphibien, piètre nageur, capable de se noyer dans l’eau. Une habitante se souvient que les femmes venaient au lavoir avec leur "selle" car il n’y avait pas d’eau courante dans les maisons. L’eau était potable.
Sous une pluie fine, le groupe a pris le chemin du retour en passant par le salon du livre 
pour arriver dans la salle des fêtes où le spectacle a été introduit par Agnès Garcenot du CRAC. Celle-ci s’est félicitée du partenariat avec la commune pour faire découvrir les trésors de Douzillac et clôturer ce parcours conté organisé pendant 15 jours sur plusieurs communes. Elle a rendu hommage aussi à l’Agence culturelle départementale qui s’est associée à ce projet. 
Monique Burg est une conteuse d’abord formée au métier de comédienne pendant 3 ans en Angleterre où elle arrive à l’âge de 24 ans. Après 11 ans dans ce pays, en 1993, elle décide de revenir en France et de vivre en Dordogne d’où elle est originaire. Préférant travailler seule plutôt que de fonder une troupe, elle se tourne finalement vers le conte en 1996.
Dans ses contes, la langue occitane revient souvent, trace d’une histoire familiale où plusieurs générations cohabitaient sous le même toit. Les interdits entourant le patois, que les parents s’efforçaient de ne pas parler à leurs enfants, avaient moins de prise sur les aînés. Ainsi, par les grands-parents se transmettaient les dictons, les histoires, les contes, une base éducative pour les enfants, notamment pour ceux qui avaient peu accès à l’école. Elle se souvient de sa grand-mère qui racontait souvent une histoire plutôt que de dire « il ne faut pas ». https://clo.revues.org/1773 Dans ses spectacles, Monique Burg fait appel à l’occitan qu’elle traduit quand le public y est peu familier, comme dans les autres langues qu’elle cite. 
Le titre du spectacle « Rien de neuf » renvoie à la réalité du conte qui avance des vérités universelles : à travers les siècles, ils ne cessent de parler des mêmes choses, mêmes si celles-ci revêtent des formes différentes selon les pays et les régions, comme l’aspiration au pouvoir, la lutte pour y arriver et celles entre classes sociales. Ainsi, l’histoire de l’Antoine et de la Simone, un conte d’une bonne quarantaine de minutes qu’elle a intitulé « Rien de neuf », évoque la figure typique et récurrente du machiste, du sexiste qui a le goût du pouvoir et cherche à le conserver, rejette sur sa femme la responsabilité de sa propre difficulté à trouver une solution (en fait, elle rate la mique de son fait à lui). C’est aussi une expression fréquemment usitée dans les campagnes, chez les paysans, une « forme d’auto-dérision » chez ceux auxquels on reproche souvent « un certain immobilisme ». Ce milieu, Monique Burg, cette fille de paysans, le connaît bien. C’est d’ailleurs « à travers cette loupe » qu’elle observe le monde, confie-t-elle.
Quand elle s’est lancée dans le conte, elle a recherché des contes traditionnels de son pays en les confrontant aux mêmes contes qui pouvaient apparaître sous des versions différentes dans d’autres régions ou cultures. L’idée était alors de recenser à chaque fois 4 ou 5 versions pour en extraire une « colonne vertébrale, des points communs ». Dans la mesure où il y avait une demande en Périgord (venue de centres d’accueil, de restaurants...) de contes issus de la culture du pays, la conteuse les a adaptés de cette manière, pouvant focaliser l’attention sur un personnage particulier qui aurait retenu sa propre attention plutôt qu'un autre.
Elle a aussi écrit des histoires pour mettre en scène des thèmes, des mythes comme celui de la chasse volante, racontée pendant le spectacle, ou le poisson lièvre. Elle se souvient que cette histoire de chasse volante était racontée en Périgord mais elle n’a pas trouvé d’écrit et a donc décidé d’en réaliser un.  
Elle invente parfois des contes comme celui mettant en scène le mythe du Drac que l’on trouve dans d’autres régions mais qu’elle a placé dans celle où elle vit et où elle conte le plus souvent. Il s’agit d’une figure méchante appliquée au diable que l’on retrouve en Quercy et dans des contrées plus méridionales qui peut prendre la forme d’un cheval s’allongeant indéfiniment, emportant fréquemment la jeunesse et la jettant dans une rivière. Elle insère alors ce personnage dans un conte actuel qui fait se confronter deux mondes : une réalité contemporaine et le domaine du fantastique, un peu à la manière de ce qu’elle a vécu dans son enfance. C’était l’époque où son pays entrait dans la « modernité », dans ces nouvelles idées d’après-guerre mais où perduraient les croyances, les superstitions, des convictions et une morale d’une autre époque. Cette rencontre du fantastique et de la réalité, qui crée un choc dans ses contes, contribue à « supprimer le temps », comme l'exprimait pertinemment une spectatrice au sortir du spectacle. Dans sa région d’origine, les contes dont Monique Burg est fortement imprégnée sont toujours bien présents : « je porte cela en moi, ils appartiennent à ma réalité et travaillent en moi ». Cette modernité des contes transparaît aussi dans son analyse sociologique qui peut prendre la forme d’une anticipation. Sur le mode ironique, elle donne à entendre et à voir, dans le conte « Rien de neuf », un Périgord loin des images lisses où le tourisme, gangréné par l’argent, a fortement biaisé la relation entre les habitants et les visiteurs et enlevé toute authenticité. Toutefois, de cette manière, « le pays se porte bien, le pays est prospère ». C’est aussi le prétexte à des inventions truculentes d’abréviations comme le BEFL (Bureau de l’Energie et de la Fierté Locale) qui remplacerait l’office du tourisme ou les PQEV (Personnes en Quête d’Elles-mêmes par le Voyage). On s’amuse de la description savoureuse d’un petit élu local prêt à tout pour garder son pouvoir, voire pour monter en grade, illustrant la médiocrité de ce monde politique que Monique Burg ne fréquente guère mais qui la fascine. Dans les contes qu’elle raconte, il y a toujours une part de sa propre histoire : le personnage de Félix dans « Rien de neuf » évoque un camarade de classe qui ne brillait pas par ses performances scolaires et dont le maître, qui ne brillait pas lui-même par ses méthodes pédagogiques (ceci expliquant peut-être cela), lui avait dit qu’il n’était « bon qu’à cirer le 45è parallèle ». Elle s’est souvenue de cette phrase lorsqu’elle a écrit le conte. De même, Simone, accusée d’avoir raté la mique et qui décide de quitter le foyer, rappelle une femme évoquée par son père quand elle était enfant. Cette femme victime d’accusations mensongères de la part de son mari avait refusé de se coiffer à une époque où cela ne pouvait que faire honte à la famille.
Grâce à sa jolie voix, elle intègre a capella des chansons traditionnelles occitanes comme, ce jour-là, celle sur la foire de Saint Clar ou une autre originaire de Provence dans laquelle une jeune femme, délaissée pour une femme riche, en meurt de chagrin.
Enfin, dans les spectacles, la conteuse peut faire aussi appel, sans en modifier le contenu, à des contes traditionnels du monde comme celui de « La petite querelle ». Ce dernier avait été raconté par Amadou Hampâthé Bâ, écrivain et ethnologue malien, dans une réunion de l’ONU dans les années 1960 pour alerter sur le conflit israélo-palestinien. Elle a aussi raconté, lors du rappel, l’histoire de la fourmi et du roi Salomon. Ce 29 novembre, ces contes devaient résonner avec l’actualité et susciter une espérance auprès des spectateurs. Ils ont cette vertu.
Car la conteuse cherche toujours à créer un lien avec son public. Si la scène est un passage obligé, elle la considère, pourtant comme « une hérésie pour le conte ». Pour favoriser une plus grande proximité, elle arrive souvent par l’arrière de la salle, comme elle l’a fait cet après-midi-là, se met à siffler ou serre la main de quelques spectateurs. En cours de spectacle, elle peut aussi faire répéter des phrases afin d’engendrer une dynamique, créer un échange qui reste une prise de risque mais permet de renouer avec les origines du conte. Si ce genre connait un  renouveau depuis les années 1970, comme l’explique Monique Burg, il diffère, en s'étant davantage professionnalisé, de sa forme originelle plus intimiste où les spectateurs, lors des veillées ou sur les places, entraient en dialogue avec le conteur, commentant entre eux les histoires racontées. Ils pouvaient le faire, toutefois, après le spectacle lors d’un verre offert par la mairie dans la cantine-librairie où le salon du livre s’était achevé. 
Peut-être auront-ils évoqué avec elle sa manière très personnelle de relier passé et présent, transportant, en quelques phrases, les spectateurs dans un autre univers tout en faisant écho à des situations très contemporaines, ceci, par sa présence étonnante sur scène, par son regard intense posé sur le public et sa mine sérieuse, par sa voix mêlée d’accent occitan claire et ferme pour mieux le capter. Ils auront probablement évoqué son analyse fine, sensible et pleine d’humour des relations entre les êtres, leurs mesquineries, leur soif de pouvoir mais aussi leur abnégation et leur courage en particulier celui des femmes, qu’ils vivent en Périgord ou en Afrique, aujourd’hui ou il y a 300 ans. Ils auront enfin perçu que, derrière cette peinture parfois acerbe de l’humanité, se cache un profond attachement de la conteuse à ses personnages car ils disent ce qu’est la vie dans toute sa beauté et sa dureté.

Texte et photos : Laura Sansot  

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