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12/01/2016

CANAN DOMURCAKLI EN CONCERT A LEGUILLAC DE CERCLES

Le 9 janvier 2016, le café associatif de Léguillac de Cercles recevait la chanteuse Canan Domurcakli. Cette musicienne originaire d'Ankara en Turquie vit à Bordeaux où elle travaille son art et prépare aussi une thèse sur la préhistoire au Proche-Orient. Cet amour pour l'ancien, on le retrouve dans les chansons qu'elle offre à son public.

L'instrument qu'elle utilise est le bağlama, le membre le plus courant de la famille des saz, les luths à manche long, un terme d'origine persane, dont on retrouve déjà des représentations dans les bas-reliefs de Sumer. Le saz est joué dans l'Est de l'Europe, en Turquie, en Arménie, Azerbaïdjan. Le bağlama est le plus petit des saz avec un manche plus court, un instrument très sensible qu'elle a dû accorder deux fois avant le concert. Il est l'attribut des bardes, des ashiks, les troubadours (littéralement "les amoureux"), à qui l'on doit la majeure partie de la tradition poétique, lyrique et épique turque. 
Le saz est le vecteur de la musique traditionnelle et populaire anatolienne. L'artiste a chanté des chansons des XVIè et XVIIè siècles, chansons des paysans, souvent tristes, comme elle l'a expliqué en introduction. Les chansons viennent, pour une grande partie, de l'Est de la Turquie, d'où sa propre famille est originaire, précisément de Divriği, près de la ville de Malatya. Les chansons y sont réputées. Elle a chanté l'une d'elles. C'est une terre hostile, aux conditions de vie difficiles, propice à l'émigration et aux séparations. Si le sujet est souvent l'amour, ce sont donc l'évocation de chagrins d'amour, de séparations des amants, d'une femme aimée qui se refuse à un homme comme cette Güldaniyem à laquelle elle a fait allusion dans une chanson venue de Thrace, en fin de concert, ou bien encore la chanson d'une femme qui parle de son mariage forcée à 12 ans. Dans les descriptions, les yeux des femmes sont souvent comparés à des villes de Turquie. Les femmes sont aussi associées à des grues, dont la symbolique est tout autre en Anatolie qu'en France : la grue évoque la beauté des jeunes filles, la fidélité, l'abondance et le bonheur. Parfois, un espoir surgit, au détour d'un vers, celui d'un messager porteur de nouvelles de l'aimé(e) qui est souvent la grue. Celle-ci peut exprimer les sentiments des personnes qui ont dû quitter leur terre natale et qui attendent l'être aimé, leur nostalgie.
Canan Domurcakli chante depuis l'enfance, au contact notamment de son grand-père qui lui a transmis cette tradition approfondie dans des cours privés à Ankara auprès de grands musiciens. Elle revendique un attachement aux traditions, s'efforce de chanter en respectant le texte et la musique sans chercher à moderniser ces chansons. En effet, elle était accompagnée ce soir-là uniquement de son instrument, sans décor ni éclairage particulier, assise sur un chaise posée sur un tapis oriental, comme pour mieux évoquer la simplicité qui entourait les chanteurs des siècles passés. Lorsqu'elle est en France, comme elle l'a raconté entre deux chansons, elle propose même des chansons peu connues, le public étant rarement familiarisé avec la langue, d'autant qu'elles contiennent souvent des termes anciens, des mots de divers dialectes, alors que les concerts dans les bars de son pays natal l'entraînent fréquemment, sous la pression des spectateurs, à jouer des "standards". Elle a d'ailleurs chanté pour la première fois en concert une chanson qui évoque ce que le public a qualifié d'"enterrement de vie de jeune fille" suite à sa description de la réunion traditionnelle avant le mariage où l'on fait pleurer la future mariée, sa soeur étant bientôt dans ce cas, a-t-elle ajouté. Des chansons comme celle-ci sont nombreuses dans le répertoire traditionnel. Il est important pour elle de maintenir vivante cette musique, de faire vivre cette mémoire qui véhicule une authenticité des sentiments, un certain absolu. "Quelqu'un qui donne tout pour son amour, on ne voit plus beaucoup cela aujourd'hui", reconnait-elle. 
Elle évoque les poètes qui l'émeuvent, comme Karacaoğlan (1604-1679), dont les oeuvres se situent souvent dans l'Est de la Turquie, utilisant une langue très pure mais aussi très moderne et très sobre qui raconte l'amour et la nature, artiste lui-même influencé par le grand Pir Sultan Abdal (fin du XVIè siècle). http://www.universalis.fr/encyclopedie/karacaoghlan/#i_14445
Les chansons du concert étaient l'objet d'une introduction au saz suivie d'un chant magnifique aux accents orientaux, souvent mélancolique, plaintif de Canan Domurcakli à la voix chaude et profonde, à l'exception d'une chanson plus gaie, éclairant le visage de l'artiste, et d'une autre dont la musique prenait des accents de guitare sèche presque rock.

On aura apprécié de découvrir cette artiste sincère, soucieuse de faire perdurer les traditions de son pays par son chant mais aussi par la transmission d'explications, d'anecdotes sur sa culture dont elle parsème dorénavant ses concerts au lieu de proposer une suite continue de chansons, comme elle le faisait auparavant, a-t-elle spontanément reconnu.
Une maison de disque de Marsaneix, l'association pour les musiques acoustiques, "la voix des sirènes", a su mettre en valeur le talent de cette jeune femme, dans un CD, intitulé Güzelleme, terme qui décrit un genre de poésie lyrique dont le thème central est l'amour, paru en 2015.
http://lavoixdessirenes.blogspot.fr/p/musiques.html

Texte et photos : Laura Sansot

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