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14/02/2016

LA DEMOIZELLE GABRIELLE EN CONCERT AUX THETARDS

La Demoizelle Gabrielle était en concert aux Thétards de Périgueux le 30 janvier 2016, à l'occasion de la sortie, quelques jours auparavant, de son album, Des Ailes. La jeune femme, de son vrai nom Elsa Laborde, a créé ce personnage de chanteuse il y a 8 ans, en janvier 2008. Il s'agit de son quatrième album, une réelle fécondité et une générosité qui ne se sont pas démenties pendant le concert, donnant lieu à pas moins de 25 chansons interprétées en deux parties.


Son tour de chant était l'occasion de mieux la connaître. D'emblée, l'univers de la Demoizelle Gabrielle était introduit : "bienvenus dans le monde sensible, humain, moqueur et morpion". Une première chanson, celle du "hibou et de la musicienne", émouvante quand on connaît l'histoire de l'artiste, évoquait la rencontre d'une jeune fille muette jouant faux du hautbois et d'un hibou qui l'aidait à chanter et jouer harmonieusement. Elsa Laborde raconte qu'elle a pratiqué le hautbois pendant 25 ans mais ces années passées en conservatoire de musique ont visiblement été un carcan la contraignant à exprimer des sentiments qui n'étaient pas les siens. L'accès au chant et à la guitare a été une libération. D'ailleurs, sa belle voix aigüe et claire exprimait cet épanouissement, que les paroles de "Bluezy Song"( de son dernier album) illustraient : "tant qu'il y aura de la vie, il y aura des rythmes et de la musique", une phrase qui semblait vouloir faire front à la haine, à "ce monde de brutes", "ce monde effrayant", "ces fous qui tuent sans remord". Des mots chantés avec rage mais toujours, étonnamment, le sourire aux lèvres. Car l'optimisme semble être l'un des traits de personnalité de cette jeune femme qui ne paraît jamais se départir de sa bonne humeur et de sa foi en la vie, sans pour autant oublier son fort caractère qu'elle avoue dans "La chieuse".
Il faut bien cela pour affronter les hommes comparés à des "lapins", très peu gentlemen, prompts à de rapides abandons ou assoiffés de sexe, comme dans "La jeune fille et le musicien", interprété dans un style jazzy, qui donnerait à la Demoizelle des envies de combat féministe. Du coup, sur "les conseils du psy", quoi de mieux  que de se libérer et de lancer à l'homme ce "Je t'emmerde", d'autant plus drôle et percutant qu'il est chanté avec une voix douce? Elle serait pour autant "Une fille sage et raisonnable"? Sûrement... "sauf les nuits de pleine lune où effectivement [elle] déraille"! Pour se consoler, il y a son amour de chienne : "Rita", à laquelle elle a dédié une chanson sur son dernier album.
Originaire des Landes, même si on la verrait plutôt née du côté de l'Amérique du Sud, elle a écrit une chanson enlevée, joyeuse sur le pays d'où elle vient, où se mêlent amour pour cette contrée et quelques pointes d'humour sur la vie de ses habitants. Sa ville d'adoption est devenu le personnage d'une autre chanson, "Bordeaux", une cité belle mais bourgeoise suscitant amour et haine. Il faut dire qu'avec ses expériences récentes dans les milieux alternatifs évoqués dans "Le droit de rêver" (elle a fréquenté le mouvement Alternatiba et les ZAD), l'"aristocratique" ville de Bordeaux a pu sembler bien loin de sa "fortune" qui "pousse dans la nature". Elle "qui n'y croyai[t] plus à la politique et aux discours superflus", elle qui était dans la consommation totale, nous a-t-elle confié, "quand [elle] a entendu le cri de ceux qui veulent une nouvelle vie" (...),  elle y a trouvé "[s]on futur, [s]on avenir" et s'est donc insurgé contre le "droit de tout faire pour gagner de l'argent, quitte à détruire la terre, les océans"? En effet, "les valeurs puisées dans la terre, le sens même de l'univers devraient nous rassembler et méritent d'être respectées" ("Merci"). Dans "Trainer au café",  elle parle de cette société de consommation : elle ne va "pas sortir de mouchoir si [elle] n'a pas le dernier cri de [s]es nouvelles technologies, [elle] n'a pas besoin d'acheter tout le magasin pour être quelqu'un et [se] sentir bien". Cela va aussi avec le fait de "prendre son temps", de "ne pas prendre l'autoroute" ("L'autoroute").
Aussi, pour combattre ce monde, elle a trouvé sa voix/voie par la musique à laquelle elle déclare "[s]a flamme". La chanson parle d'un contrat qu'elle a déchiré, faisant allusion au travail salarié qu'elle a abandonné quelques mois pour vivre sa passion et quitter "un monde fait d'habitudes". "Et si et si" laisse imaginer un monde naïf et insouciant : "et si on faisait une chanson juste pour rire, pour ne pas devenir trop con", "et si on partait en voyage semer l'amour dans les villages" et laisser éclater sa "Boule d'énergie". Cependant, "les chaînes" qu'elle évoque dans "Le droit de rêver" ne sont pas toujours là où l'on croit. A la fin du concert, elle raconte les contraintes qu'elle a dû accepter en tant qu'artiste quand elle ne vivait que de sa musique. Elle a bien voulu "prendre le risque de se tromper de route, même si cela implique qu'[elle] ne quitte jamais [s]es doutes". Eprise de liberté, elle a choisi les musiciens qu'elle aimait pour enregistrer en studio et des concerts en solo depuis septembre pour chanter dans les bars d'où elle vient, dans les cafés-théâtre. Elle a aussi décidé de revenir à sa "première place" qui est celle d'une assistante sociale, pour agir totalement à sa guise dans le cadre de sa passion. Son métier a inspiré quelques-unes de ses chansons comme, sur son dernier album, "La fée sur le palier", cette femme migrante qui tente de vivre en France ou dans ce titre "Je chante et je danse" "pour ceux qui sont dans le noir et ne voit pas le bout du couloir" ou bien "Allez viens" où elle "accuse tous ceux qui ferment les yeux sur le problème de la misère" ou encore "Je danse" sur les handicapés. Si l'inspiration peut être certains jours difficile à trouver, elle "n'a pas dit le dernier mot" car "l'évidence devient la seule raison de continuer à écrire des chansons".
Avec le titre éponyme du dernier album, elle résume la manière dont elle se définit : cette "simple morpionne qui cherche l'essentiel dans ce monde cruel" qui fait écho à la dernière chanson : "on fait le vide en soi pour que reste l'essentiel, on cherche au fond de soi une petite étincelle". Elle réclame qu'on lui "donne des ailes pour qu'[elle] chantonne avec les mêmes voyelles épicées de consonnes".
Si, au fil du temps, cette jeune femme dont la voix évoque dans certaines chansons celle d'Olivia Ruiz, elle reconnaît une meilleure maîtrise de son instrument qu'elle pratique depuis peu, elle constate aussi que ses textes expriment moins de colère contre la gent masculine, quoique Des ailes en conserve quelques traces, et semblent se détacher du niveau individuel, personnel, pour un engagement plus politique. Elle fait d'ailleurs désormais partie d'un collectif de musiciens, certes sauvage et clandestin (elle ne va pas non plus renouveler des chaînes dont elle s'est libérée!), à Bordeaux, "en quête de nouvelles rencontres humaines et musicales". Sa manière d'écrire paraît très libre : ses chansons sont souvent composées au fil de la plume, avec un côté "brut", instinctif. Elle ne semble pas vouloir trop les travailler pour les rendre plus spontanées, ce qui lui donne le sentiment de ne pas faire partie du monde de LA chanson française où les textes seraient, à l'inverse, très ciselés. Cette spontanéité révèle une volonté de partage sincère. Infatigable, parcourant les routes de France avec son auto et sa guitare (elle compte un nombre impressionnant de concerts dernière elle) et libérée de la dépendance financière que connaissent pourtant un nombre croissant d'artistes tentés pour survivre par des productions plus consensuelles, elle a toute latitude pour dénoncer les travers et les violences de notre monde. Et l'on en a bien besoin.


Texte et photos : Laura Sansot

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