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24/02/2016

PROJECTION DEBAT AUTOUR DU FILM "ONCLE BERNARD-L'ANTI-LEÇON D'ECONOMIE

Le 7 janvier 2015, Bernard Maris dit Oncle Bernard, était assassiné dans les locaux du journal Charlie Hebdo dont il était un des rédacteurs. Le film "Oncle Bernard-l'anti-leçon d'économie" sorti en France le 9 décembre 2015 est un hommage tant par sa forme que par son contenu à l'économiste anti-conformiste.
Affiche du film française
 photo extraite de : http://anti-lecon.com/photos.html
Le comité Attac Périgueux-Nontron invitait à l'occasion de la projection de ce film, le 5 février, un des membres des économistes atterrés, Matthieu Montalban http://www.atterres.org/users/matthmontalban, maître de conférences à l'université de Bordeaux, pour un groupe de travail l'après-midi et une présentation du film et un débat le soir autour du thème "Bernard Maris, un regard critique sur l'économie".
 de gauche à droite : Roger Roche de Ciné-Cinéma, Joël Brély d'Attac et Matthieu Montalban des Economistes Atterrés.

L'auteur du film est un québécois, Richard Brouillette, né en 1970, aussi producteur de 6 longs-métrages, monteur et programmateur, "très actif dans le milieu du cinéma indépendant québécois, en prenant part à plusieurs actions politiques et en se dévouant à la cause de nombreux centres d'artistes auto-gérés" http://anti-lecon.com/bio.html comme celui qu'il a créé en 1993, La Casa obscura. Son premier film date de 1995, Trop c'est assez, autour de la figure du réalisateur Gilles Groulx. Il réalise ensuite Carpe Diem, puis en 2008 L'encerclement-la démocratie dans les rets du néo-libéralisme, visible sur le net https://www.youtube.com/watch?v=OgCTn7MM6uU, et en 2014 Prends garde à la douceur des choses. Il a reçu de nombreux prix pour ses films documentaires dont La Vague du meilleur documentaire au FICFA en 2015 pour son film sur Bernard Maris.
Celui-ci a été tourné dans les locaux de Charlie Hebdo après la conférence de rédaction hebdomadaire, le 8 mars 2000, comme matériau du film l'Encerclement sur lequel le réalisateur travaillait à l'époque. Or, après la tragédie du 7 janvier 2015, "l'âme calcinée", il a souhaité rendre hommage à ces " magnifiques irrévérencieux, et plus particulièrement à Oncle Bernard" en projetant des rushes bruts de 2 tournages de mars 2000 : le bouclage du n°404 et 4 bobines de l'entrevue avec Bernard Maris. Les spectateurs privilégiés l'ont encouragé à "diffuser ces images à un plus large auditoire". Par respect pour les familles, celui sur le bouclage n'a pas été rendu public. 
Le parti-pris formel prolonge celui utilisé dans ses autres films documentaires, en allant plus loin encore. Le réalisateur a choisi d'utiliser un support argentique pour bénéficier de la qualité d'image, d'une plus longue durée de conservation et "aiguillon[ner]" son travail vers "plus de précision". L'entretien a duré 3 heures mais seulement 78 minutes ont été enregistrées, objet du film. Celui-ci a été tourné en noir et blanc par souci de "sobriété, de façon à mettre au premier plan les idées". Le noir et blanc "se prête admirablement bien à cette envie de dépouillement de l'image" et confère "un caractère d'intemporalité qui sert bien le propos du film" car "le discours de Bernard Maris, tourné il y a plus de 15 ans, est toujours d'actualité". Le choix a été fait, en outre, de ne pas effectuer de montage et de mettre à nu le processus de tournage :  laisser le spectateur confronté aux bruits ambiants, changements de bobines de 16 mm (chacune de 122 m et 11 minutes 7 secondes), aux passages au noir, occasions d'écouter les digressions drôles et joyeuses de l'économiste, de sentir sa complicité avec l'équipe du film, d'observer son humanité mais aussi sa générosité dans le temps et les explications accordés. Les "lubrifiants visuels"ont donc été écartés pour éviter un film formaté qui serait allé à l'encontre de l'esprit de l'économiste. Au contraire, il s'est agi de laisser totalement libre la parole de Bernard Maris, "libre en ses envolées comme en ses hésitations, tantôt faconde rigoureuse, tantôt murmures en proie aux doutes, verve dénonciatrice tout autant que mutines facéties". Les noirs entre deux bobines permettent aussi aux spectateurs une récréation face à un discours, certes étonnant de pédagogie et de simplicité, mais relativement dense où de multiples sujets économiques sont abordés. Enfin, quand "l'écran vire] au noir et que la voix de Bernard Maris se prolonge dans l'obscurité, c'est une métaphore de ce film hommage lui-même car c'est comme si la parole de Oncle Bernard lui-même survivait à sa mort",  a constaté sa fille Gabrielle Maris-Victorin. http://anti-lecon.com/mot.html
RICHARD BROUILLETTE
Crédit photo : Aïda Maigre-Touchet
photo extraite de : http://anti-lecon.com/photos.html
Le réalisateur, avant de rencontrer Bernard Maris,  était déjà fasciné par sa capacité à "renvers[er] les dogmes néoclassiques" de la sacro-sainte économie, à "dénoncer les limites de l'économie scolastique". Avec son accent chantant du Sud Ouest, lui qui était né à Toulouse en 1946, d'un père ancien résistant et d'une mère marseillaise, il rendait accessibles ces sujets à priori complexes en y ajoutant une bonne dose humour, teintée d'érudition, lui qui était féru d'histoire et de philosophie et auteur aussi de 3 romans, comme l'a rappelé Matthieu Montalban en présentant le film. C'était un "touche à tout", ainsi passionné de psychanalyse, intérêt qui le démarquait fort de ses collègues et avait même écrit un livre sur le sujet : Capitalisme et pulsion de mort. Il disait à ses étudiants : "ne vous interdisez rien en matière de créativité et de recherche", incitation à explorer toutes les alternatives. Très marqué par la pensée de son maître, Keynes, il considérait que l'économie ne devait pas dominer le monde, de même que les économistes ne devaient pas être des experts écoutés des puissants mais plutôt des "gens modestes qui ne devaient pas avoir la primauté dans le débat public". Il avait rédigé deux tomes d'un Anti-manuel d'économie où il montrait notamment que les théories économiques n'étaient valables que dans des conditions particulières et n'avaient donc pas une portée universelle.
 BERNARD MARIS
photo extraite de : http://anti-lecon.com/photos.html
Le film est un condensé en un peu plus d'une heure de la pensée de Bernard Maris. Après une présentation de ses activités professionnelles, d'un oeil rieur comme si elles étaient en opposition avec ses convictions profondes, il dénonce les relais de la pensée libérale (la plupart des universitaires, tous les experts et les journalistes étant la "caisse de résonance entre les deux"). Il montre que l'économie est basée sur des concepts inquantifiables et faux comme la transparence : au contraire, elle a besoin d'opacité pour fonctionner au profit d'une minorité. La confiance, autre concept majeur, place l'économie davantage du côté de la religion que de la science. Les batailles de chiffres, tels ceux du chômage, évitent d'aborder les vrais problèmes quotidiens comme la dégradation des conditions de travail. L'économie revêt les habits d'une science pure, soi-disant neutre, présentant ce qui arrive comme une évidence (il est normal qu'il faille faire pression sur les salaires, il n'y ait pas d'inflation alors que cette situation crée une économie de rentiers...) sans admettre qu'il s'agit d'une idéologie. Elle ignore à la fois le temps (on raisonne en avenir certain, ce qui n'est pas possible) et la monnaie. Cette économie se présente comme l'apanage des experts pour mieux museler la contestation. Bernard Maris s'insurge contre la théorie de la main invisible née dès 1776 qui est basée sur des principes intenables : des hommes vivant de manière séparée, autonome, dans un individualisme absolu, dotés d'une information parfaite (informés de tout ce qui va se produire), évoluant dans un monde sans incertitude, où il y aurait pas hasard. D'ailleurs, les plus grands économistes libéraux l'ont admis, cette théorie ne fonctionne pas : les antagonismes individuels ne créent pas l'équilibre du collectif. "Le marché ne conduit pas à l'équilibre, n'est pas efficace. Si vous laissez faire le marché, vous aurez la pire des solutions. Donc, la loi de l'offre et de la demande, ça ne veut rien dire". Celui qui avance ces concepts est "soit un escroc, soit se voile les yeux, soit est un incompétent". Il dénonce aussi la théorie ricardienne des avantages comparatifs qui stipule que les pays qui se spécialisent dans la production dans laquelle ils ont la plus grande productivité augmenteront leur richesse nationale. Cela ne fonctionne pas car "le commerce international, ce n'est pas de l'échange désintéressé qui fait que ce sont les gentils indigènes qui commercent avec les gentils conquistadors. (...) C'est d'abord le commerce international qui suit les militaires, qui suit la prédation et ensuite il y a un phénomène de pacification vers l'intérieur". Il s'inscrit en faux contre l'idée que les inégalités créent de la richesse, contre le fait que la croissance soit une bonne chose en montrant notamment tout ce que recouvre le PIB. Il rappelle qu'environ la moitié des transactions des banques se font hors de tout contrôle d'une autorité supérieure qui "font que les Etats ne sont plus rien". Ces opérations hors bilan se font grâce à des produits dérivés qui sont des contrats d'assurance, moyen de s'assurer sur des fluctuations futures. C'est une économie où l'on entretient le risque mais ces risques sont des épiphénomènes que l'on ne peut pas quantifier. Ces contrats d'assurance qui coiffent l'économie normale créent une 2è couche qui est encore plus risquée qui conduisent à se couvrir pour couvrir les contrats d'assurance. On crée ainsi un économie spéculative en entretenant le risque. Une des caractéristiques du capitalisme contemporain est une économie où le risque financier est systématiquement marchandisé. Autre de cheval de bataille de Bernard Maris : les fonds de pension auxquels abondent les retraités américains, estimant qu'il n'y aura pas assez d'actifs pour payer les retraites. L'argent est géré par des gestionnaires de fonds, en fait des banques d'affaire qui demandent aux entreprises de la rentabilité, du 15% net sur le capital. Le salarié contribue ainsi à des licenciements pour bénéficier de ces 15%, même s'ils n'en retirent que 5%. Il résume l'économie financiarisée à un gâteau où le couteau qui le couperait appartiendrait aux rentiers, aux créditeurs (ceux qui prêtent, épargnent, font circuler l'argent, les propriétaires du capital) qui feraient des part de plus en plus petites pour les autres. La financiarisation de l'économie a donné le couteau au capital financier et la faiblesse du travail lié au chômage a permis au capital de couper le gâteau comme il le voulait. C'est le capitalisme, pas la démocratie et il conclut : quelle fierté y a-t-il à annoncer des bénéfices tout en licenciant?
MATTHIEU MONTALBAN
Suite à la projection, un débat avait lieu dans la salle avec l'intervenant Matthieu Montalban.  Un premier spectateur a regretté qu'en dehors de l'empathie que l'on pouvait avoir avec Bernard Maris, son exposé soit une critique du système économique sans proposition concrète. L'économiste animateur du débat estimait, de son côté, qu'il s'agissait davantage d'une déconstruction du discours économique dominant que venait confirmer une spectatrice vantant un pédagogue extraordinaire doté d'un grand sens de l'humour et dont elle ne ratait aucun éditorial. Une autre personne a incité l'auditoire à agir, à demander plus de parts de gâteau puisque l'on obtenait que ce que l'on demandait. En revanche, les puissants avaient intérêt à ce que les petits comme nous se sentent impuissants. Plus tard dans le débat, une autre intervention est allée dans ce sens, faisant reconnaître à l'économiste un vrai blocage politique, la nécessité de sortir des voies institutionnelles et la confusion entretenue par les dominants entre propositions alternatives favorables au peuple et donc populaires avec des propositions populistes. Le président de Ciné-Cinéma a invité les spectateurs à la lecture du livre issu de la conférence donnée par Alain Badiou à Aubervilliers. Le débat s'est ensuite axé davantage sur des questions économiques. Il a été rappelé notamment par Matthieu Montalban que l'euro avait été créé pour éliminer les problèmes de taux de change, les spéculations sur la monnaie. Contrairement aux idées reçues, celle-ci est arrivée dans les sociétés humaines avant le troc. Elle "visait au départ, non pas à faire des échanges marchands, mais à compter/symboliser et "rembourser" des dettes de sang ou de mariage". On la désigne parfois comme une "monnaie sociale". "L'essentiel de la production dans les sociétés primitives" était "plutôt redistribué collectivement ou échangé sous forme de don-contre-don" qui est une "forme de réciprocité où l'échange de biens visait à maintenir le lien social et une façon de conquérir le prestige. La plupart des travaux anthropologiques montrent que ce troc, soit n'existe pas dans les sociétés primitives, soit est restreint aux échanges plus rares avec des communautés lointaines ou des objets très précis. En fait, c'est un véritable mythe de nos sociétés marchandes de croire que les sociétés "froides" étaient elles-mêmes marchandes (sous forme de troc), et que nous serions "plus développés" parce que la monnaie a ensuite remplacé le troc, puis le crédit se serait ensuite développé à la suite de l'invention de la monnaie. C'est exactement le contraire : la dette précède la monnaie qui précède elle-même le marché. Le marché a été systématiquement restreint dans les sociétés primitives, car il impliquait l'intérêt et la concurrence, ce qui risquait de raviver toujours des querelles, des jalousies pouvant anéantir la communauté". Concernant les monnaies locales, Matthieu Montalban n'a pas manifesté d'opposition, constatant simplement que, la Banque Centrale les autorisant, elles ne remettaient pas en cause le système global, ne créaient pas d'alternative véritable et générale, les impôts n'étant pas payés non plus en monnaies locales. Toutefois, elles avaient le mérite de favoriser les liens sociaux. Il a été aussi question de l'ordo-libéralisme, un courant de pensée né en Allemagne dans les années 30, quintessence du néo-libéralisme, qui plaçait l'Etat au coeur du libéralisme, à l'origine d'un cadre juridique permettant la toute-puissance du marché, le Tafta venant mettre en pratique cette théorie économique. Les partis se distinguaient désormais non plus sur des questions économiques, pourtant au coeur du politique, mais uniquement sur des questions sociales, comme l'a montré le débat autour du mariage homosexuel. Matthieu Montalban a été sollicité pour donner son avis sur la décroissance. Il n'y voyait pas d'inconvénient, incitant à réduire les nombreuses consommations superflues que génère notre société moderne. Il y était d'autant plus favorable que l'on constatait une stagnation de la productivité. En revanche, il était partisan du développement étant entendu comme  moyen d'améliorer la qualité de vie des populations. Enfin, il ne fallait pas croire les discours prétendant réformer l'Union Européenne en remettant en question la libre circulation des marchandises, celle-ci étant à l'origine du Traité de Rome, traité fondateur de l'Europe.
Les spectateurs venus nombreux pouvaient poursuivre la réflexion en allant sur les sites des économistes atterrés http://www.atterres.org/ et d'Attac24 http://local.attac.org/attac24/ et https://www.facebook.com/attac.perigueux.nontron/ .

Texte et photos (sauf mention contraire) : Laura Sansot

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