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18/05/2016

HOMMAGE AU PEUPLE ET A L'UN DE SES DEFENSEURS AU FESTIVAL DE LA VALLEE PAR B.ROY ET OLIVIER DE ROBERT

Le festival de la Vallée intitulé cette année "La Vallée s'en mêle" a débuté le 5 mai par une journée dans la belle et dynamique commune de Bourrou et se poursuit jusqu'au 4 juin prochain. 
Le 13 mai dernier, deux artistes étaient programmés à Saint Léon sur l'Isle. Pour la partie musicale, Agnès Garcenot, la directrice du CRAC, avait invité B. Roy, découvert par le mari de la présidente, Martine Courault, il y a quelques années à Luxey (40) dans le cadre de "Sur un plateau", occasion d'entendre lors d'une journée chaque début mai des artistes de la scène musicale française, puis lors d'un festival chaque année en août, organisé par l'association Musicalarue : http://www.musicalarue.com/fr/le-festival/programmation.html B. Roy était ensuite venu en Dordogne dans les guinguettes de l'Etang (Thenon) et de Neufont (Saint Amand de Vergt).
 
Agnès Garcenot énumérant les personnes qui ont réalisé l'écharpe de St Léon sur l'Isle de 85 m 
en vue de confectionner la plus longue écharpe du Périgord, une écharpe collective des communes de la Vallée de l'Isle, prétexte à un moment de convivialité entre les habitants 


B. Roy a pas mal roulé sa bosse aux quatre coins du monde, en particulier dans le groupe de Manu Chao, Radio Bemba.


Issu de la scène alternative des années 80, du rock indépendant, c'est plutôt dans le style chanson rétro avec des reprises comme Les amants de St Jean ou La plus bath des javas à interpréter dans une guinguette au bord de l'eau qu'on l'a vu à l'oeuvre ce vendredi soir, même si l'atmosphère climatique portait plutôt à se réchauffer devant un bon feu.
Ce natif de la capitale avait aussi des chansons rebelles évoquant le vieux Paris populaire, celui d'"un paradis perdu pour les apaches keupons, les rebelles et les laissés pour compte" dont Belleville-Ménimontant, une chanson d'Aristide Bruant ou comment gagner de l'argent sans se fatiguer quand on doit survivre sans le père de famille retrouvé "crevé bien tranquille", "su'l trottoir". Dans le genre humoristique aussi et écrite par B. Roy lui-même, on avait apprécié la fameuse chanson Pépère l'Austère, "l'histoire d'un sale petit bonhomme (...) franchement désagréable qui sous prétexte qu'il a un peu réfléchi aux choses de la vie se sent obligé à chaque fois qu'il vous croise de vous expliquer en long et en large tout ce qu'il faut faire ou n'pas faire pour bien naviguer dans l'existence".
Comptait aussi dans la liste des chansons composées par l'artiste, ce beau titre, entraînant et néanmoins triste La poubelle, repris avec plaisir par le public. On y a entendu Simone, une chanson joyeuse écrite par Madjid, un compagnon de route du groupe Radio Bemba, qu'il a souvent interprétée avec lui. La chanson de Renaud Hexagone était détournée pour en donner le titre Les garennes de l'hexagone en référence à un centre de vie sociale de Mantes la Jolie et en hommage à tous les garennes de France, "sans oublier qu'ta mère, c'est Sim", rencontrés lors d'un voyage épique et mémorable. Raoul Maboul, une autre composition de B. Roy nous transportait dans l'univers de ce musicien qui autrefois "poussait la chansonnette" et qui se retrouva à "danser la java des barjos" car "qu'chose dans sa tête, un jour s'[était] détraqué".

Le tour de chant se poursuivait après le spectacle de conte dans la salle des fêtes pour entendre ainsi Alice qui, bien qu'entourée de ses amis sans-abris et elle-même dans la galère, ne "cro[ya]it pas au malheur" mais aussi une reprise de La butte rouge, une autre chanson de Montéhus, Je cherche la tombe de mon p'tit gars. 
P'tit Louis (tout comme Simone) rappelait que B. Roy avait fait partie du groupe rock du début des années 1990 "Les French Lovers" qui avait sorti cette chanson dans l'album Dans les rues d'ici en 1992.
En somme, des chansons dont les mélodies joyeuses contrastaient avec des textes pas très rigolos mais qui traduisaient souvent la lutte et le courage d'un peuple en souffrance d'antan et d'aujourd'hui, conférant aux trésors d'imagination déployés pour ne pas se laisser enfermer dans la misère une portée universelle. Un bel hommage à la dignité du petit peuple par l'un de ses propres artistes que la proximité avec le public, notamment dans la cour de la salle des fêtes, semblait porter et qui régalait l'auditoire de ses talents d'accordéoniste. La générosité de l'artiste s'était manifestée dès le jeudi soir. Après 7h de route depuis Paris, il avait accepté de jouer tout de go, sans vraiment se délasser, pour pas moins d'1h30 de spectacle à la Poivrière (Saint Astier) face à 30-40 personnes, non des privilégiés mais des spectateurs osant faire confiance à un petit lieu pour un concert à l'atmosphère unique.

Si les chansons louaient le combat quotidien d'un peuple exploité, l'artiste programmé à 21h30 consacrait, quant à lui, un spectacle à l'homme politique qui avait pris sa défense, Jean Jaurès. Et, comme le rappelait le conteur, Olivier de Robert, la lecture de ses textes était toujours et malheureusement d'une actualité brûlante, invitant le public à s'y plonger.
Cet ancien guide de montagne, résidant aujourd'hui en Ariège, fils de pasteur qui a passé son enfance à voyager de la France jusqu'en Afrique http://www.lexpress.fr/region/les-50-qui-font-bouger-l-ari-egrave-ge_477689.html?p=3  est devenu conteur un peu par hasard vers l'âge de 25 ans.
Qu'il écrive ou qu'il conte des légendes du Sud-Ouest ou des récits historiques, il a toujours le souci de mettre l'homme au coeur de ses histoires. Le spectacle allait nous en donner la preuve. Ce sont des récits qui sont "de chair et de sang", qui sont "l'aventure des hommes", explique-t-il sur son site Internet http://www.olivierderobert.net/presentation.htm. Sa formation d'historien en poche, il a raconté l'histoire des Cathares (en a même fait un livre), celle de l'aéropostale, celle de Stevenson à travers les Cévennes.
Pour cette soirée, il avait choisi de parler de Jaurès dont il a confié au public après la prestation comment celui-ci avait vu le jour. On lui avait commandé un spectacle sur ce personnage historique. Il avait accepté pour des raisons financières, disait-il en souriant (on n'en croyait pas un mot!) avec un enjeu majeur car il était programmé pour la fête de l'Huma de Carmaux, autant dire "faire un spectacle sur Dieu au Vatican", avait-il expliqué. Il faut rappeler que Jaurès est né à Castres en 1859 et a soutenu, entre autres, les grandes grèves de Carmaux de 1892 à 1895. Pensant venir dans la ville pour annuler son engagement tellement la tâche lui semblait ardue, il avait trouvé refuge dans un café afin de se protéger de la pluie et combler une avance dont il était peu coutumier pour un rendez-vous. Il avait découvert dans ce lieu tous les personnages qui viendraient peupler son spectacle et la mauvaise nouvelle consistant à annuler la prestation n'avait plus lieu d'être. "Le spectacle était là, devant moi", se souvenait-il : des petits vieux, un ancien instituteur, un ancien verrier, un paysan et d'autres avaient passé la nuit à décoller des affiches du FN et s'étaient mis à parler de leur Jaurès. Et, en effet, le spectacle ne consistait pas à incarner l'homme, tâche nécessairement  partielle qui n'aurait pas pu rendre toute la force du personnage. Quoi de mieux, au contraire, pour à la fois marquer l'absence et mettre en valeur cet homme, que de faire parler des gens du peuple qui avaient vécu ses combats? Le titre du spectacle était donc trouvé : Jaurès raconté par son peuple.
Sans aucun décor, par la magie du verbe, le conteur qui ajoutait à son talent un côté théâtral, véritablement pénétré par son sujet, faisait à son public une description profondément humaine des membres du café : le patron attendant désespérément de nouveaux clients était entouré de Raoul, à la droite du bar, habitué à déguster une suze cerise tandis que l'instituteur se tenait nécessairement à gauche de la pièce, Philibert, l'ancien souffleur de verre, soucieux de la qualité du récipient dans lequel il allait boire, Lespinasse qui buvait pour oublier sa vie sans enfant, Paulo le mineur qui attendait la retraite. Les personnages passés en revue, il les faisait parler avec émotion, les paroles uniquement soutenues par des variations dans l'intensité de la lumière : Paulo racontait la vie dans la mine et celle de son doyen, Georges. L'instituteur ne manquait pas de rappeler que Jaurès avait été formé par les instituteurs de la République, qu'il avait été un courageux défenseur de Dreyfus et de son plus ardent soutien, Zola, que de là, était né le terme d'intellectuel. Le conte de la chèvre de Monsieur Seguin était présenté comme la métaphore d'un peuple qui ne savait pas son pouvoir et n'osait pas quitter l'enclos pour la liberté de la montagne. Certes, Blanquette, qui s'était échappée, avait été mangée par le loup mais, par son combat, Jaurès avait donné l'espoir qu'un jour, c'est la chèvre qui gagnerait, qu'il fallait toujours croire à la victoire du petit sur le fort. Là était le rapport avec Jaurès. Puis, c'était au tour d'un ancien poilu d'être mis en scène. S'il racontait l'horreur de la Grande guerre, la brutalité du combat, la vie des tranchés, c'était pour dire combien Jaurès avait eu raison de la combattre, quitte à en mourir, assassiné par Raoul Villain le 31 juillet 1914, lui-même tué par des Républicains espagnols en 1936.
Ce texte d'Olivier de Robert, porté par une formidable présence scénique, une voix forte et grave qu'il savait moduler en fonction des personnages, faisait revivre cette ambiance de café d'un autre temps transportant le public entre fiction et réalité souterraine des tranchées ou de la mine, pour mieux rendre hommage à une figure exceptionnelle dont la lutte résonnait étrangement un siècle plus tard, dans un contexte de luttes sociales où le rapport de force n'avait guère changé.
Pour les prochaines dates de la Vallée, retrouvez le programme du festival sur ce lien : http://www.lavallee.info/le-programme/l-agenda

Texte et photos : Laura Sansot

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