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09/10/2016

ACTUALITE POLITIQUE CUBAINE AUTOUR DU FILM "GUANTANAMO NOUS APPARTIENT"

Le 6 octobre, dans la salle du nouveau cinéma de Boulazac, Studio 53, avait lieu une soirée autour de Cuba. Décidée pendant la Fête de L'Humanité, elle était organisée à l'initiative de l'association de Boulazac, Cuba Linda, créée en 1998, et le parti communiste de Dordogne. Afin d'aider les Cubains à développer un tourisme soucieux de la rencontre, cette structure propose des séjours à Cuba en privilégiant l'hébergement chez l'habitant. Elle apporte une aide matérielle aux Cubains et permet de faire découvrir "autrement" Cuba et les Cubains. 

L'association proposait la projection du film "Guantanamo nous appartient", un documentaire d'une petite quarantaine de minutes d'Hernando Calvo Ospina, un journaliste et écrivain colombien qui a notamment réalisé "Blocus contre Cuba". Il est réfugié politique en France, un pays qui lui a refusé la nationalité en 2011 car il entretient des "relations avec la représentation diplomatique cubaine à Paris".
https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2011-12-08-Calvo-Ospina
Fidel Castro et Hernando Calvo Ospina
Le film jette un regard original sur cet autre Guantanamo, celui des Cubains. Qui connaît l'existence de cette frontière au sein même du territoire cubain? Les habitants réclament ce territoire de 117 km² depuis qu'il a été confisqué par les Etats-Unis en 1898, à la fin de la guerre contre l'Espagne. En effet, sous prétexte de sauvegarder l'indépendance de l'île, les Américains ont exigé d'installer une base navale dans cette province. Le chantage était réel puisque si les cubains refusaient, ils se voyaient imposer l'occupation de l'île entière. Cela a même été acté dans la première constitution. En 1903, les "Yankees", comme les désignent les Cubains dans le film, deviennent locataires de ce territoire pour 4085 dollars à l'année, somme que Cuba a toujours refusé d'encaisser depuis 1960.
Le film mêle images d'archives et témoignages d'anciens travailleurs de la base, habitants des lieux, jeunes ou plus âgés. Tous affirment leur attachement à cette île, leur indignation face à cette occupation illégale de leur terre mais aussi leur espoir de la récupérer un jour. On y voit notamment des jeunes femmes soldats de la Brigade de la frontière affirmer leur patriotisme.
On apprend que les soldats américains, les jours de permissions, envahissaient les rues de  Caimanera tandis que les mères protégeaient leurs filles en les gardant à la maison. La ville et la province plus généralement étaient devenues une des zones de prostitution les plus importantes des Caraïbes, notamment avant la Révolution. Sont évoquées de véritables orgies. L'alcool coulait à flot, la cocaïne circulait, la syphilis prospérait et le taux d'analphabétisme était fort dans un pays qui n'avait pas atteint le niveau d'éducation qu'il a aujourd'hui. Il n'était guère évident pour les Cubains de travailler dans la base qui leur a fermé les portes il y a 4 ans.  Les témoignages rendent compte d'agressions et de provocations. Le Che parlait de "nid d'escrocs" comme l'illustre les images d'archives du film. Cette hostilité a duré jusqu'en 1992 puis la tension a baissé à la fin des années 1990. Toutefois, encore aujourd'hui, on n'entre à Caimanera et Boqueron qu'avec un laissez-passer tandis que les touristes doivent être accompagnés d'un guide officiel. La présence des Yankees privent les Cubains de l'accès d'une grande partie de la baie et des eaux très poissonneuses, dans un contexte économique très difficile du fait du blocus.
 
Quant à la prison ouverte en 2002 par le président Bush, les Cubains ont toujours souhaité qu'elle soit fermée. 80 personnes y sont encore détenues sans procès (61 selon Le Monde http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/08/16/etats-unis-quinze-detenus-de-guantanamo-transferes-aux-emirats_4983143_3222.html). 780  prisonniers y ont vécu. Le gouvernement  américain y a pratiqué la torture.

Un débat a suivi la projection, introduite par le président de l'association Cuba Linda, Didier Lalande, évoquant l'actualité malheureuse de l'île et l'ouragan Matthew.
Laurent Péréa, secrétaire départemental et responsable adjoint des relations internationales au PCF, a expliqué que le blocus était une autre forme d'occupation que celle de l'enclave militaire de Guantanamo. Cette soirée, organisée dans un département de résistance pendant l'Occupation, était l'occasion d'aborder la réalité de Cuba souvent manipulée par les médias. Fondé en 1960, l'Institut Cubain d'Amitié avec les peuples dont le vice-président était invité, Elio Gàmez, centralise tous les mouvements de solidarité avec Cuba dans le monde.
 
Celui-ci est assez ample et n'a pas de comparaison au niveau international. Il a "un fonctionnement organiquement stable". Il rassemble plus de 2000 organisations dans plus de 150 pays. L'intervenant a exprimé, à plusieurs reprises au cours de la soirée, l'importance que représentait pour Cuba ce mouvement de solidarité dans sa lutte contre le blocus qui dure depuis plus de 50 ans. Il a d'ailleurs qualifié cette politique d'"obsolète et inefficace". Il n'empêche que Cuba se retrouve puni d'avoir osé à 90 miles des Etats-Unis construire un système politique différent, un système socialiste, a-t-il expliqué. Cuba s'est beaucoup investi dans une campagne de libération en faveur de 5 de ses agents secrets emprisonnés aux Etats-Unis pendant 17 ans. Ceux-ci s'étaient infiltrés dans les organisations américaines anti-castristes pour prévenir des actes terroristes dans l'île. Il s'est insurgé contre le fait que de véritables terroristes circulent librement dans les rues de Floride en citant  Luis Posada Carriles qui a recouvré sa liberté en 2007. Il était l'un des instigateurs de l'attentat du vol de la compagnie cubana de aviacion 455. L'avion transportant notamment 24 sportifs cubains avait explosé le 6 octobre 1976. C'était donc ce soir-là jour pour jour le triste anniversaire commémoré à La Barbade, Etat au-dessus duquel la bombe avait explosé. Elio Gàmez constatait qu'il y avait "les bons et mauvais terroristes", les bons terroristes étant ceux, pour les Etats-Unis, qui luttaient contre les gouvernements progressistes. Cet "acte criminel" des années 70 avait été "commis par des organisations terroristes qui existaient toujours et étaient admises et tolérées, même avec la complicité de la CIA et du gouvernement américain". L'orateur a ensuite abordé la question des "campagnes de manipulation, de désinformation" par les "grands médias" qui avaient tendance à "surdimensionner les problèmes à Cuba et passer sous silence les bonnes choses". Cette île n'est "ni le paradis que nos amis mettent en avant en nous idéalisant ni  l'enfer décrit par nos ennemis". "Les difficultés économiques à Cuba sont dues à ce blocus qui pèse sur toute notre vie", a-t-il précisé. La grande presse y est qualifiée d'"industrie du mensonge", "la grande manipulatrice des masses", elle qui "nous donne des leçons de liberté de la presse". Quelle leçon Hollande pouvait-il donner dans un pays où les policiers étaient vêtus comme des "extra-terrestres"? Il a noté qu'il n'y avait pas un mot dans la presse sur les actions de solidarité avec Cuba. Seuls les mouvements de solidarité, la presse comme celle du PCF dans ce pays relayaient les bonnes informations. La bataille se jouait aussi sur les réseaux sociaux.
Les Etats-Unis étaient en train de financer des partis à Cuba en injectant des sommes considérables pour l'île, de l'ordre de 80 millions de dollars, destinées à faire un travail subversif censé détruire la Révolution. Les partis du monde libéral, ceux qui existaient dans l'île avant 1959, Cuba n'en voulait pas car il ne lui semblait pas être des modèles.
Les manipulations de la presse étaient indéniables au sujet du processus de normalisation des relations entre Cuba et les Etats-Unis, lui-même un long chemin parsemé d'obstacles car si les relations s'apaisaient, le blocus était toujours intact. Des freins étaient mis à toutes les entités financières qui voulaient signer des contrats avec l'île. Il existait aussi un blocus technologique réalisé en mettant la pression sur les autres pays. Ce blocus financier a été qualifié de "criminel" par l'intervenant.
Quant à la prison de Guantanamo, elle était "une honte" car "un camp international de torture où aucune règle de droit n'[était] respectée". Il a rappelé les promesses d'Obama de fermer ce lieu qui ne seraient pas tenues avant la fin proche de son mandat.
Cuba s'indignait des lois migratoires américaines qui encourageaient la sortie des Cubains vers les Etats-Unis, à la différence des autres peuples d'Amérique Latine. Ceux qui posaient les pieds sur le sol américain obtenaient très rapidement la nationalité américaine aux détriment des autres Américains du Sud ou du Centre.
Elio Gàmez a martelé que le processus de normalisation avec les Etats-Unis ne ferait pas renoncer les Cubains à leurs convictions. "Ils ne trahiraient pas le sang de tous ceux qui étaient morts pour la Révolution". Ils continueraient à soutenir le gouvernement  révolutionnaire et tous les gouvernements progressistes et de s'opposer aux manoeuvres de l'extrême-droite et de la CIA qui voulaient les faire tomber. Il a fait référence à ce qui s'était passé au Brésil mais aussi en Argentine, les tentatives pour déstabiliser la Bolivie, l'Equateur, le Vénézuela. Cuba soutenait aussi les causes justes dans le monde comme celle des Palestiniens ou celle des Sahraoui et continuerait d'exporter sa collaboration partout dans le monde (envoi de médecins, enseignants...), comme le lui avaient appris Fidel, le Che et Raul.
de gauche à droite : la traductrice, Elio Gàmez, Alexey Garcia Suarez (responsable du centre Europe de l'ICAP), Yurielkys Sarduy Martinez et Laurent Péréa
Laurent Péréa a rebondi sur une remarque du public évoquant la pression qui s'exerçait sur les pays tentés par l'émancipation comme la Grèce. Il y avait, en effet, une contre-offensive néo-libérale très importante et l'on constatait une chape médiatique dès que des mouvements sociaux émergeaient y compris en France.
La première secrétaire de l'ambassade de Cuba en France, Yurielkys Sarduy Martinez, a ensuite pris la parole. Elle a confirmé cette contre-attaque de la droite et de l'extrême-droite dans les pays d'Amérique Latine. L'ambassadrice des Etats-Unis au Paraguay au moment du coup d'Etat était celle en place en ce moment au Brésil. http://www.investigaction.net/une-ambassadrice-et-deux-coups-detat-le-paraguay-et-le-bresil/ Cette situation se passait, selon elle, de commentaires. Elle a évoqué aussi des tentatives de division des leaders qui faisaient le jeu des Etats-Unis. Il était dit ainsi que Chavez était le véritable leader, Maduro ne semblant pas compter, sachant que Chavez lui-même de son vivant avait été l'objet d'une campagne d'opposition très forte. Elle a rappelé que les Cubains ne se laisseraient pas trompés par une opposition entre Fidel et Raul et qu'ils resteraient unis.
Si le 17 décembre 2014, La Havane et Washington ont annoncé le rétablissement de leurs relations diplomatiques, le processus a commencé bien avant, notamment lors du 6è congrès du Parti, auquel le peuple a été largement associé. La diplomate a insisté sur le fait que cette ouverture continuerait de se réaliser selon des méthodes propres aux Cubains et non selon des modes imposés de l'extérieur.
En revanche, pendant des années, Cuba a été le seul pays d'Amérique Latine avec lequel l'Union Européenne (UE) n'a pas conclu d'accord de coopération, fortement influencée dans sa décision par les Etats-Unis. En 1996, elle a même adopté une position commune portée par le gouvernement Aznar qui conditionnait les relations avec Cuba à des changements politiques dans l'île, a-t-elle poursuivi. Les relations officielles entre l'Union Européenne et Cuba ont été finalement suspendues en 2003. La Havane devait subir des restrictions de l'Europe dont la limitation des visites gouvernementales.
Toutefois, depuis octobre 2008, les relations diplomatiques entre Cuba et l'UE ont repris. A la suite des Etats-Unis dont le président a effectué une visite historique à Cuba du 20 au 22 mars 2016, une nouvelle étape du processus a été franchie : l'UE et Cuba ont signé un accord de normalisation le 11 mars 2016. Auparavant, le président français lui-même s'est rendu à La Havane en mai 2015 et a reçu Raul Castro à l'Elysée en février 2016.
Il  reste que l'on est loin d'une complète coopération économique et Elio Gàmez a soutenu les propos de la première secrétaire de l'ambassade de Cuba en France. Aucune collaboration ne sera signée si Cuba doit changer sa politique et son économie. Il a souhaité une "égalité de position" : "nous ne nous mettrons pas à genoux devant les Etats-Unis et l'Union Européenne".
A la faveur d'une question sur une éventuelle victoire de Donald Trump, le vice-président de l'ICAP a estimé que cette possibilité faisait peur au monde entier et pas seulement à Cuba mais la démocratie telle qu'elle était conçue au Etats-Unis, basée sur le pouvoir de l'argent, faisait courir ce risque. Une fois de plus, il a clamé la volonté de Cuba de rester indépendant, a revendiqué son propre système, le socialisme, mais constatait le traitement particulier que lui imposaient les Etats-Unis. Si la Chine et le Vietnam, par exemple, s'étaient engagés contre "l'Empire américain", celui-ci ne les bloquait" pas comme il le faisait pour Cuba. Cela venait-il du système économique différent de l'île où le choix était fait de privilégier ce qui était nécessaire à l'Homme (outre l'alimentation, la santé, l'éducation, le sport, la culture)? Pour Elio Gàmez, "le modèle capitaliste n'est pas un exemple". La crise actuelle était "une crise systémique, résultat de la spéculation financière démesurée dans le monde". Il poursuivait : "les mesures appliquées au Tiers-Monde le sont désormais au 1er monde. Celui qui ne peut pas payer ses dettes est jeté à la rue. On attaque le système de santé publique, on privatise de plus en plus (...) mais quel exemple, même du point de vue écologique!" Il expliquait que s'il y avait en Amérique Latine et en Afrique autant de voitures par habitants, il n'y aurait pas assez de pétrole sur la planète. Il concluait : "le système capitaliste n'est pas viable pour la planète entière". Une dernière question du public concernait les relations avec la Russie. Elles étaient "très bonnes", même si ce pays n'était plus l'URSS.
La soirée se terminait pas une incitation à venir visiter Cuba afin de découvrir le fonctionnement d'une société différente. L'association Cuba Linda se tenait à disposition pour donner des conseils de voyages ou les organiser.

Autre article d'Art Péri' Cité sur Cuba :
http://artpericite.blogspot.fr/2015/07/cafe-repaire-autour-de-lagriculture.html

Texte : Laura Sansot

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