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06/10/2016

EXPOSES ET DEBAT POUR FETER LES 80 ANS DES CONGES PAYES ET AUTRES ACQUIS SOCIAUX

Le 24 septembre, la CGT de Dordogne fêtait les 80 ans des congés payés et autres conquêtes sociales en proposant exposition et projection de films, ateliers pour les enfants dès 16h. En fin d'après-midi, après avoir laissé les artistes faire les balances en vue du concert de Rue de la muette, trois intervenants étaient invités à participer à une table-ronde-débat proposée aux militants et autres sympathisants.

Introduite par Matthieu Le Roch (à gauche ci-dessous) et animée par Cyril Moreno (à droite ci-dessous), tous deux inspecteurs du travail,
elle a pu avoir lieu grâce au prêt de matériel de la mairie de Boulazac, celle de Périgueux n'ayant pas donné suite aux demandes de la CGT.
En préambule, il était rappelé que sans ce syndicat, il n'y aurait pas eu la semaine des 40h, les délégués du personnel ni les congés payés. Cette période du Front Populaire avait montré qu'il n'y avait aucune fatalité sociale, que le patronat était capable de plier quand la classe ouvrière se prenait en main.



Afin d'expliquer le mouvement social de 1936 au niveau national, Gérard del Maschio, le premier intervenant a rappelé le contexte historique qui l'a précédé (crise de 1929, chômage, montée du nazisme et arrivée au pouvoir d'Hitler en Allemagne, développement des mouvements d'extrême droite, climat de haine jusqu'au 6 février 1934) et qui l'a suivi jusqu'en 1945. 1936 est aussi l'année où la CGT et la CGTU se sont réunifiées, lors du congrès de Toulouse en mars. Avant même la formation du nouveau gouvernement issu des élections des 26 avril et 3 mai, des grèves ont éclaté dans les usines d'aviation du Havre. Plusieurs usines se sont mises en grève au cours du mois. Le 24 mai, le rassemblement au Mur des Fédérés commémorant la Commune a rassemblé plus de 600 000 personnes. De nombreuses grèves se sont enclenchées surtout à partir du 26 mai et la classe ouvrière a commencé à traiter d'égal à égal avec le patronat conduisant à la signature des accords de Matignon le 7 juin. Auparavant, le 4 juin, Léon Blum constituait son gouvernement dans lequel étaient entrées trois femmes. Bien que non inscrits dans le programme du Front Populaire, les acquis sociaux cités plus haut ont été obtenus pour 8 millions de salariés grâce à l'action de la CGT. Outre ces conquêtes sociales, ces luttes ont empêché la réorganisation de la vie politique selon un mode fasciste voulue par la bourgeoisie. Alors que les salaires avaient baissé d'un quart entre 1929 et 1935, ils ont augmenté environ de 12%, voire de 30 à 50% dans certaines branches. Les conventions collectives se sont généralisées grâce à la loi du 24 juin. Alors que seule la nationalisation des industries de guerre était prévue dans le programme du Front Populaire, elle a concerné, entre autres, la SNCF (1937), l'industrie aéronautique. Cette lutte a permis une croissance sans précédent des effectifs de la CGT : ils étaient 4 millions en 1937 alors que la CGT et la CGTU rassemblaient 750 00 adhérents en 1936. Toutefois, les acquis sociaux ont été remis en cause avec le gouvernement Daladier. Ainsi, les salariés sont revenus à la semaine de 48h, malgré la grève du 30 novembre 1938 lancée par la CGT durement réprimée avec 15 000 licenciements. Ce gouvernement a signé les accords de Munich fin septembre 1938. Cette année a marqué la rupture entre ceux qui dénonçaient les accords de Matignon et ceux qui y étaient favorables. L'intervenant a conclu : le gouvernement (dominé par le Parti Radical) n'a pas fait la guerre au fascisme mais à la classe ouvrière.
Marie-France Barillot, retraitée, membre de la CGT, est intervenue sur le 1er mai 1936 en Dordogne indiquant que ce jour n'était pas chômé en France à l'époque. Il fallait se mettre en grève pour pouvoir manifester. Le 1er mai 1936, il y a eu à Périgueux un rassemblement à 17h30, au manège de l'artillerie, au cours duquel un meeting s'est tenu, organisé par le PC et les syndicats, puis un défilé de 2000 personnes a parcouru les rues. En Dordogne, les grèves sont devenues importantes surtout à partir de la mi-juin après les accords de Matignon.
Jacky Varaillon, ancien secrétaire départemental de la CGT, aujourd'hui président de l'Institut de l'Histoire Sociale (IHS) de la Dordogne, a fait, quant à lui, un exposé sur le mouvement social ouvrier en Dordogne.
L'union départementale a été créée en décembre 1912 mais reposait sur de faibles forces dans un département peu industrialisé. En 1920, les grèves se sont multipliées mais se sont arrêtées  en mai du fait de la suspension de 71% des postes de cheminots dans les ateliers. Un militant communiste, Marcel Delagrange a occupé la mairie de Périgueux de 1921 à 1925. Le 12 février 1934,  une très grosse manifestation a eu lieu à Périgueux rassemblant jusqu'à 15 000 personnes contre le fascisme. L'intervenant a, par ailleurs, listé les hommes et femmes passés à la direction de l'union départementale en montrant que tous n'étaient pas restés fidèles à leurs convictions de départ et avaient rompu avec les travailleurs.
Lors du débat qui a suivi, un cheminot s'est félicité de ce regard critique alors que l'on avait tendance à mythifier le passé militant. Les exposés ont montré que la classe ouvrière s'était vraiment rendue visible en Dordogne à partir de 1936 tandis qu'en France un patronat aux abois en France avait fait d'énormes concessions jusqu'à ce que les acquis soient contestés. Le Front Populaire avait abandonné l'Espagne républicaine, malgré des manifestations comme celle de Périgueux le 7 septembre 1936, avant que la loi du 21 janvier 1937 n'interdise l'enrôlement  de volontaires pour l'Espagne.
En Dordogne, en juin 1936, des catégories professionnelles ne sont pas entrées dans le mouvement, à l'inverse de celles qui manifestent aujourd'hui : postiers, cheminots, fonctionnaires. Le mouvement a été plutôt massif dans le privé. Les travailleurs se sont mis en grève entre 5 et 15 jours. Une grande manifestation a eu lieu le 14 juillet 1936 pour commémorer le 1er anniversaire du serment du Front Populaire.
1936 est une date fondatrice car jusque là, l'acte politique majeur consistait pour les hommes à voter et donc à déléguer la politique à des notables. En faisant pression sur les gouvernants en dehors des échéances électorales, le peuple a modifié son rapport au politique. Cependant, aujourd'hui, le désinvestissement politique est bien réel et l'on est revenu à cette délégation (la seule différence est que les femmes votent désormais). La question a été posée de savoir comment construire un mouvement représentatif de la majorité du peuple qui travaille à son émancipation, comme l'était le Front Populaire. Ont été évoqués "Les jours heureux", le titre du programme du Conseil National de la Résistance (CNR) rédigé dans la clandestinité mais mis en oeuvre à partir de 1946, qualifié de véritable révolution, pendant le débat. Le Front Populaire est la réponse qu'a choisi la France face à la crise alors que l'Allemagne a fait le choix du nazisme : une défaite pour la bourgeoisie qui préférait le fascisme au Front Populaire. Ce front a été possible par l'unité politique et syndicale. Un membre du public a estimé que les exposés l'avait renforcé dans ses convictions : on ne pouvait pas accorder sa confiance (et donc ensuite ne pas se sentir trahi) à la représentation politique ou syndicale facilement encline à retourner sa veste. Selon lui, la solution était la révolution sociale et l'auto-organisation du prolétariat. Jean-Paul Salon, auteur, entre autres, de Au temps du Front Populaire, a considéré, quant à lui, que le problème n'était pas la confiance mais la constitution d'un rapport de force. Elle supposait de s'organiser partout mais aussi de créer des liens, comme cela s'était produit pendant le Front Populaire. Cela avait abouti à des conquêtes sociales qui avaient ouvert le chemin au programme du CNR. Ces deux évènements avaient marqué l'histoire de la France et constituaient une référence pour maintenir l'espoir d'une possible émancipation du peuple par le peuple.

Texte et photos : Laura Sansot

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