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17/11/2016

JEAN VILAR OU LA BATAILLE D'AVIGNON A LA POIVRIERE

Le premier week-end de novembre, Jean-Paul Rolin programmait à Saint-Astier le dernier spectacle du comédien et metteur en scène, François Dragon, un habitué du Théâtre de la Poivrière où il avait déjà présenté l'année dernière un spectacle sur Antonin Artaud.

L'auteur de la pièce est le directeur du Théâtre d'Art au Coeur de l'Aquitaine (TACA) http://www.theatretaca.com/index.html, une compagnie qui a la particularité de créer et de diffuser des spectacles interculturels, notamment en co-production avec l'Allemagne. Il a notamment mis en scène et adapté dernièrement la pièce de Peter Turrini J'aime ce pays dans Les migrants présenté à Coulounieix-Chamiers et Périgueux en septembre. 
Cette fois, pour cette production française, il a choisi la figure tutélaire du théâtre français, Jean Vilar, pour donner à entendre un homme au courage exceptionnel, animé par la passion et non par l'argent, dont les textes sont d'une brûlante actualité et toujours aussi subversifs.
 Jean Vilar
photo extraite de : 
http://www.babelio.com/auteur/Jean-Vilar/110902
Dans un spectacle assez court mais dense, François Dragon a choisi de mêler échanges épistolaires, extraits de pièces qu'il a mis en scène et textes généraux sur le théâtre, notamment extraits de son ouvrage Théâtre, service public, publié en 1975.
La voix du protagoniste résonne dès le début de la pièce évoquant la mise en place en septembre 1947 de la "Semaine d'art en Avignon", encouragée par Christian Zervos et René Char, qui eux-mêmes organisaient une exposition de peintures et sculptures contemporaines. Bien que rétif au début, Jean Vilar accepte cette suggestion. Plutôt que de présenter son premier grand succès public, comme on l'y invite, il propose de monter trois oeuvres en création, des pièces méconnues du répertoire et des pièces du théâtre contemporain : La tragédie du roi Richard II de Shakespeare, La terrasse de Midi de Maurice Clavel et L'histoire de Tobie et de Sara de Paul Claudel. La mairie soutient le projet pour faire renaître la ville victime des bombardement en avril 1944. La Cour d'honneur du Palais des Papes s'ouvre au théâtre. D'emblée, la voix de Jean Vilar aborde les questions financières qui ne vont pas cesser de le préoccuper sa vie durant.
 La voix de Jeanne Laurent lui succède. Cette sous-directrice des spectacles et de la musique au Ministère de l'Education Nationale depuis 1946, ardente défenseure et initiatrice de la décentralisation et de la démocratisation théâtrale, exprime son inquiétude lorsqu'elle se rend à Avignon. Elle connaît les reproches que l'on fait à Jean Vilar sur la programmation de spectacles en plein air, qui plus est difficiles, elle sait les risques financiers qu'il a pris. Malgré cela, elle l'a soutenu dans son projet de création de ce qui va devenir le plus grand festival de théâtre du monde que Jean Vilar dirige jusqu'à sa mort en 1971. Et quand  elle prend le train pour Avignon en juillet 1951, c'est pour lui annoncer qu'il peut devenir le directeur du Théâtre National de Chaillot qu'il rebaptise Théâtre National Populaire (TNP). Entre temps, l'aventure du Festival se poursuit évoquée dans la pièce par les voix des comédiens, celle de Joanna Rubio et Alfred Luciani : ce sont des extraits de correspondance de Jean Vilar où les problèmes financiers qui l'assaillent déjà en 1947 côtoient son enthousiasme pour la mise en place de la scène de la Cour d'honneur, un véritable symbole de la décentralisation et de l'accès au théâtre par la province : "ce haut lieu traditionnel de la France devient la source de nouvelles créations".
L'intermède théâtral évoque une scène du Cid où Chimène dit sa souffrance au roi d'avoir vu son père mourir sous les coups de Rodrigue et réclame vengeance. Il introduit l'évocation de Gérard Philippe, un des jeunes talents dont l'homme de théâtre va s'entourer. Il interprète Rodrigue mais aussi le rôle titre du Prince de Hambourg représenté à Avignon en 1951 dont les comédiens jouent un extrait. Puis ces derniers, dans le fond de la scène, face à leurs pupitres respectifs, éclairés par de simples ampoules, à la lumière blafarde, sans aucun autre artifice, donnent à entendre, sous forme d'une conférence imaginaire qu'aurait donnée Jean Vilar, sa vision du métier de comédien qui doit, entre autres, se méfier de sa propre expérience, ne pas être absent au monde. Ce moment du spectacle fait écho à un autre où les comédiens présentent les conseils de l'homme de théâtre à une jeune comédienne, toujours aussi pertinents, où s'affirme en particulier le refus de faire carrière qui ne serait qu'"un esclavage" ou "une ambition mal placée".
Puis succède un extrait de la pièce de Bertolt Brecht écrite en 1941, L'irrésistible ascension d'Antonio Ui, un des grands succès du TNP et une parabole pour évoquer l'ascension d'Hitler au pouvoir. Ce texte est le prétexte pour le metteur en scène d'aborder la vision du théâtre selon Jean Vilar. C'est un plaidoyer pour un théâtre accessible à tous mais aussi source de réflexion sur le monde contemporain et notamment sur "ce ventre (...) encore fécond d'où est sortie la bête immonde", comme une réplique de cette pièce le proclame. Un extrait de L'avare est enfin mis en scène (un dialogue entre Harpagon, revêtu d'un masque, et Frosine) avant que la dernière partie du spectacle se centre sur le point de vue de Jean Vilar au sujet des rapports entre théâtre et Etat, liberté et culture. On y entend : "le théâtre n'est pas seulement un divertissement mais il témoigne de l'âme d'une cité", "on peut juger de la qualité d'une civilisation à l'aune de son art théâtral" ou encore "l'important est de savoir pourquoi on fait du théâtre et pour qui", "la culture s'est toujours opposée à l'Etat", "le théâtre ne doit pas être l'anti-chambre de la philosophie".
 
 
Son refus de la démagogie, sa volonté de promouvoir un théâtre pour les plus démunis et d'envisager le lieu comme une maison de l'homme, à l'image d'une église, maison de Dieu, illustrent quelques pensées majeures de Jean Vilar délivrées à la fin du spectacle. Les derniers mots sont laissés à "celui qui nous apprend à apprendre", comme ils avaient introduits cette création.
Un bel hommage et une belle introduction pour les jeunes générations à la découverte de cette figure majeure de la culture en France. Le metteur en scène place le théâtre au coeur de la proposition avec ces quatre extraits d'oeuvres interprétés par des comédiens visiblement très pénétrés par les textes. Un décor réduit au minimum, des acteurs, tout de noir vêtus, pour mieux mettre en valeur leurs belles voix profondes, et leurs visages très expressifs, tout concourt à illustrer la manière dont Jean Vilar envisageait la scène : dépouillée de ce qui la dénature pour privilégier les hommes et le texte. Alternant différentes formes (lectures, déclamations de textes ou de lettres, extraits de pièces) pour mieux alléger le propos, François Dragon rend accessible la pensée de cet homme, en privilégiant la concision (1h04), sans négliger un certain niveau d'exigence. Un projet que n'aurait pas renié celui qui l'a inspiré. Toutefois, à l'instar du public de classe moyenne que Jean Vilar a surtout attiré au détriment d'un public ouvrier, celui de la salle, en ce samedi soir, laissait penser que la démocratisation culturelle était encore un défi.


La pièce est jouée à Paris au Théâtre du Nord-Ouest du 16 au 22 novembre 2016.
http://www.offi.fr/theatre/theatre-du-nord-ouest-2849.html

Texte et photos : Laura Sansot

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