Parce qu’il n’y a pas d’art sans engagement
Parce que les Arts disent que d’autres mondes sont possibles
Parce que des femmes et des hommes tentent de les construire
Parce que les Arts nous affranchissent des frontières et de l’enfermement
Parce que la Dordogne fourmille d’actions et de projets politiques alternatifs
Parce qu’aucun blog ne recense ce foisonnement d’activités militantes, politiques, artistiques et culturelles différentes,
Nous vous proposons Art Péri’Cité :
des agendas et des reportages sur les diverses manifestations ou activités

15/02/2017

META-THEATRE ET FRANCHE RIGOLADE : A BIEN Y REFLECHIR ET PUISQUE VOUS SOULEVEZ LA QUESTION...

Le 2 février 2017, l'Agora de Boulazac recevait la compagnie 26 000 Couverts pour sa dernière création. La compagnie a été fondée en 1995 par Philippe Nicolle, auteur, metteur en scène et comédien, et Pascal Rome. Depuis 2000, le premier dirige seul la compagnie installée désormais à Dijon. Il est connu notamment pour avoir créé en 2003, au moment de la crise des intermittents, avec Fred Tousch les manifs de droite. Le nom de cette compagnie de théâtre de rue évoque à lui seul une utopie :  "entreprendre et favoriser toute action menant à l'organisation de 26 000 convives"! Ses membres revendiquent le théâtre "comme une expression contemporaine", veulent "détourner le regard et décaler le quotidien, faire des farces et s'emparer du sacré, marier le tragique au burlesque" et la douzaine de créations qu'ils ont réalisées semblent bien se conformer aux objectifs de départ. En tout cas, le spectacle présenté à l'Agora en était l'illustration.

Tandis que les spectateurs prennent place, on ne sait si le spectacle a déjà commencé sur une scène passablement encombrée d'objets divers. Des comédiens discutent en bord de scène, d'autres traversent le plateau visiblement très affairés. Quand une jeune femme en tailleur sort des gradins pour monter sur scène, on s'attend à ce qu'elle présente la pièce mais celle-ci a déjà débuté. On est déjà dans le méta-théâtre, une réflexion sur la création à l'oeuvre. D'ailleurs, le titre à rallonge, A bien y réfléchir et puisque vous soulevez la question, il faudra quand même trouver un titre un peu plus percutant, annonce déjà ce questionnement.  Cette pseudo programmatrice, chargée de communication ou directrice de ce théâtre subventionné explique la démarche : les onze comédiens, qui attendent derrière elle la fin de son discours, vont donner à voir une étape de travail suite à une résidence de deux semaines.

Le discours très pédagogique est l'occasion de quelques coups de patte au système culturel français. Les théâtres doivent faire la courbette aux élus afin de récupérer des financements et accepter de faire de l'action culturelle parfois en sérieux décalage avec le sujet, comme un épisode de la pièce le suggère avec beaucoup d'humour : une scénette sur le tri sélectif où deux comédiens hilarants revêtent les costumes d'un hérisson et d'un lapin pour dénoncer le mélange des genres et le dévoiement de l'art.
Il est question aussi de bord de scène très en vogue actuellement dans les centres culturels où les comédiens, metteurs en scène sont convoqués pour expliquer leur travail, comme si toute création devait se justifier et être décortiquée. D'ailleurs, il se trouve que pour cette sortie de résidence, le metteur en scène, parti pour on ne sait quelle action culturelle, n'est pas là et les comédiens, livrés à eux-mêmes, sont chargés de détailler au public l'état de leur travail.
On apprend que le spectacle de rue, qui sera joué dans un an, a pour objet la mort. On évoque des morts stupides, des superstitions liées à la mort, des morts au théâtre, le fantôme d'un intermittent qui rôde, mort avant d'avoir obtenu les 507h nécessaires pour toucher ses allocations. La mort s'invite pour enlever un jumeau et finit saoule à côté d'une fourgonnette à pizzas. Une danse macabre succède à cette scène.

A grand renfort de moyens (pas suffisants car cela finit mal!), on projette de brûler la mort qu'une marionnette géante est censée représentée.
 On déploie un théâtre d'ombres.
Finalement, la fiction rejoint la réalité : un meurtre a lieu au théâtre. Le coupable se dénonce. On croit que la pièce est finie après un défriefing animé par le metteur en scène.

On pensait que les comédiens étaient seuls mais le metteur était bien présent. Erreur! On est toujours dans cette pièce qui s'interroge sur le processus de création et le metteur en scène n'est pas celui que l'on croit. On multiple alors les mises en abyme tout en mêlant la thématique de la mort : des faux-mafieux sud-américains, parrains de la drogue, débarquent avec un espagnol à couper au couteau et usent d'une manière toute personnelle de leurs armes.


Puis les meurtres s'enchaînent ainsi que les défriefings avec sans cesse des metteurs en scène différents.
Finalement, on ne sait plus qui est qui, quand le spectateur est face à la fiction ou sort de celle-ci, d'autant que le fameux Philippe évoqué est le prénom du vrai metteur en scène qui lui-même joue dans le spectacle. Lorsque l'on a le sentiment que la pièce est finie car les comédiens saluent,
on croit à un bord de scène
mais un nouveau rebondissement arrive.
Finalement, on découvre que les spectateurs se sont fait la malle et on va même les chercher dans le hall de l'Agora! Mais nous sommes juste dans la fiction, les vrais spectateurs sont bien restés jusqu'au bout et ont bien ri.
Sous une apparente improvisation, la pièce est très écrite de bout en bout et ressemble à une grande farce où se joue pourtant une réflexion sur le théâtre contemporain. On s'amuse beaucoup des pitreries de tous ces comédiens qui veulent bien faire pour nous montrer le fruit de leur travail mais ratent un certain nombre de leurs propositions. Tout y passe : sketches, mini-opérette, lecture de scénario, parade, théâtre d'ombres chinoises... pour, d'un côté, démonter le spectacle vivant et toute la machinerie institutionnelle, faire de l'auto-dérision sans épargner les spectateurs, catalogués comme étant tous enseignants (pas tous mais presque, il est vrai!) et, de l'autre, évoquer le travail collectif que suppose une troupe nombreuse de comédiens, comme on en voit de moins en moins, étant donné les coupes budgétaires croissantes. C'est la mise à nu de la création, ses ratages, ses tentatives, ses bouillonnements d'idées qui, confrontés à la rue, créent nécessairement de l'inattendu et s'enrichissent de cette rencontre. Une durée (1h50) légèrement diminuée pour éviter quelques longueurs aurait peut-être resserré le propos et donné plus de rythme encore. On est parfois dans l'excès de bouffonnerie, on en rajoute un peu mais on a passé un bon moment et les comédiens aussi. Et puis, avec un spectacle aussi vivant et décalé, on a déjoué la mort.

Texte et photos : Laura Sansot

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire