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22/03/2017

TABLE-RONDE AUTOUR DE LA PRESSE FEMININE ALTERNATIVE

Les 17 et 18 mars 2017, l'association Femmes Solidaires organisait au théâtre, avec le soutien de la ville de Périgueux, deux jours de manifestation autour de L'écrit des femmes, une des actions retenues dans le cadre du plan contre le sexisme (Sexisme pas notre genre!) lancé par le ministère des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes le 8 septembre 2016. Etaient proposés des tables-rondes, conférences, lectures, expositions, rencontres et un concert.
La première table-ronde était intitulée "Femme et média, quelles visibilités?".
Elle était animée par Samia Messaoudi, journaliste à Clara Magazine. Les différents intervenants journalistes ou rédacteur.e.s en chef.ffe étaient invité.e.s à se présenter.

Pierre Yves Ginet, rédacteur en chef de Femmes ici et ailleurs, "un des plus grands reporters", selon la modératrice, a expliqué que son journal était en quelque sorte issu d'un pionnier en la matière :  Clara Magazine. Cet ancien analyste financier devenu photo journaliste en 1996 a fondé en 2003 l'association Femmes ici et ailleurs. Grand reporter, il s'est intéressé au combat des femmes dans le monde, ce qui l'a incité à créer en septembre 2012 un journal du même nom, trimestriel d'information généraliste sur l'actualité des femmes en France et dans le monde et notamment sur leurs luttes en faveur de leurs droits. Il a noté que dans les média, 80% des sujets étaient consacrés aux hommes. Quand on parlait des femmes, on les présentait dans leurs rôles dits féminins, comme "femmes de" ou comme victimes et non dans leurs diverses activités. Seul point positif, on parlait de plus en plus des femmes politiques. Or, le journaliste a bien insisté sur le fait que, sans même parler de féminisme, cela ne correspondait pas à la réalité de notre monde et donnait une information qui n'était pas équilibrée.
http://www.femmesicietailleursmag.com/
Samia Messaoudi a rappelé qu'il existait de très nombreux journaux féminins pour l'essentiel consacrés à la santé, à la mode, à la beauté, comme si ces sujets n'étaient qu'une affaire de femmes. 
Christine Ribeyreix, journaliste à Famosa, le magazine bimestriel des femmes en Périgord, était accompagnée de la rédactrice en chef, Suzanne Boireau-Tartarat. Ce magazine né en 2013 est parti du constat du manque de représentativité des femmes dans les média en choisissant une terre de tradition et de terroir qu'est la Dordogne : il s'agissait donc de leur donner la parole dans leur vie quotidienne, de les montrer dans leurs activités professionnelles, associatives et/ou militantes. Si le journal n'était pas étiqueté féministe, le fait de montrer la vraie vie des femmes était une forme d'engagement et une manière de combattre les préjugés.
 
https://www.facebook.com/Famosa-P%C3%A9rigord-401342289954205/
Quant à Isabelle Vitté, journaliste à l'Echo de la Dordogne, elle a rappelé le nombre important de média en Dordogne de presse écrite, radio et télévision. Le sien était un quotidien d'information relayant les combats de défense des droits de chacun dont les luttes féministes. La rédaction était mixte et l'égalité salariale de mise. Les sujets n'étaient pas traités par les journalistes en fonction de leur genre mais en fonction de leurs sensibilités aux questions choisies.
http://www.l-echo.info/lieu/2190/dordogne
La rédactrice en cheffe du bimestriel Clara Magazine, Carine Delahaie, a rappelé l'ancienneté de son journal paru pour la première fois en 1945 sous des noms qui ont évolué en 72 ans pour adopter l'actuel il y a une dizaine d'années, émanation de l'association Femmes Solidaires.
A l'époque, il s'agissait de faire de l'éducation populaire, d'être un vecteur d'information notamment en direction des femmes qui avaient récemment obtenu le droit de vote et de développer leur esprit critique. C'était un journal féministe qui parlait des combats des femmes dans le monde mais aussi de leur quotidien familial en France après la seconde guerre mondiale. Il y a 20 ans le journal était devenu disponible en abonnement uniquement, un tournant qu'il aurait été plus difficile à prendre aujourd'hui.
 
Femmes ici et ailleurs se battait contre une concurrence que la société voulait imposer à tous et par conséquent estimait que tous les journaux évoqués dans ce débat étaient complémentaires. Par ailleurs, ce magazine ne cherchait pas à faire du sensationnel, à présenter les femmes comme des victimes mais plutôt comment elles se battaient pour s'en sortir. Il était composé de deux co-rédacteurs.trices et de journalistes ou pigistes mais avec une grande majorité de femmes. A Clara Magazine, les auteurs des textes, journalistes, pigistes et bénévoles, étaient essentiellement des femmes puisque les hommes ne se bousculaient pas pour écrire ni même les stagiaires. Dans l'univers médiatique, il n'était pas facile d'imposer un magazine féminin et féministe. D'ailleurs, Pierre-Yves Ginet s'est insurgé contre des journaux comme Elle qui se proclamaient féministes alors qu'ils publiaient des articles sur des sujets qui enfermaient les femmes et incitaient les hommes à les enfermer. "C'est de la communication politique, c'est juste malsain", a-t-il déclaré. Carine Delahaie a approuvé, évoquant la contradiction de ce même journal soi-disant féministe qui mettait en page de couverture des jeunes femmes filiformes alors que l'association et le journal dont elle fait partie multipliaient les rencontres dans les lycées pour lutter contre ces diktats de la mode. Isabelle Vitté  s'est ralliée aux propos de son confrère, de sa consoeur et indiqué combien ces journaux pouvaient apporter en termes de visibilité de la femme comme actrice à part entière. Cependant, les femmes journalistes avaient tendance, du fait d'une dégradation des conditions de travail et des horaires à rallonge, à changer de poste et à devenir secrétaire de rédaction dès qu'elles avaient des enfants. Christine Ribeyreix a rappelé les difficultés pour un journal comme le sien de se maintenir et d'avoir un lectorat régulier.
La question de la diffusion a ensuite été abordée. Pierre-Yves Ginet a rappelé que son journal, bien que soutenu par une association, avait failli mourir trois fois depuis sa création. Un journal qui n'avait pas au moins 30 000 ventes par exemplaire ne pouvait pas envisager une présence en kiosque qui supposait un travail sur la commercialisation. Or, des journaux comme le sien subissaient l'absence de subventions de l'Etat ou devaient passer des journées entières à réaliser des dossiers pour gagner des subsides insignifiants. Trois ministres se sont succédés et ont affirmé la nécessité de donner plus de visibilité à la presse des femmes sans que cela soit suivi d'effet financier. "Il n'y a pas de volonté politique", a souligné la rédactrice en cheffe, point de vue partagé par la journaliste de Famosa qui a évoqué la solitude du combat de son journal. Carine Delahaie s'est demandée comment elle s'en sortirait si elle devait lancer un journal aujourd'hui. Elle profitait d'une notoriété ancienne et ne vivait pas uniquement de ses abonnements mais aussi de conférences. Tous les bénéfices étaient réinjectés dans la publication qui ne bénéficiait pas de recettes publicitaires. Isabelle Vitté en a profité pour rappeler l'inégale répartition des aides à la presse. Elle a indiqué que Télé Z avait touché plus d'un millions d'euros. On pouvait même ajouter que Télé 7 jours avait récupéré 6,9 millions d'euros en 2013. http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/05/06/aides-a-la-presse-qui-touche-le-plus_4411883_4355770.html#partie1 Famosa a précisé que la presse régionale magazine n'accédait à aucune aide. Pour Pierre-Yves Ginet, le problème venait surtout des lecteurs. Ce n'était pas parce qu'un magazine féminin était créé que les femmes allaient s'abonner. Les membres de Famosa ont observé que le lectorat n'était pas fidèle. Carine Delahaie a constaté que celui-ci était très réactif aux prises de position qui pouvaient engendrer des désabonnements, prouvant que la liberté d'expression n'était pas acquise en France. D'ailleurs, le magazine Elle n'avait pas voulu prendre partie du moment du mariage pour tous, évoquant au même niveau les partisans et les opposants alors qu'il déclarait : "le droit des femmes, c'est nous". Des lettres de mécontentements arrivaient plus facilement dans des rédactions comme Clara Magazine que chez les grands journaux. "Si vous voulez vendre durablement, il ne faut pas froisser l'auditoire", s'entendaient dire ces magazines aucunement prêts à renoncer à leur liberté de parole. Refuser d'obéir à ces impératifs économiques avait un prix, la difficile survie et les "salaires misérables".

La parole était ensuite laissé au public. Une femme a regretté que les magazines présentés soient trop confidentiels. Pour sa part, elle offrait à Noël des abonnements de Famosa mais cela restait une action limitée. Le courrier des lecteurs plus développé qu'aujourd'hui permettait des réactions spontanées et exprimées publiquement et pouvaient faire l'objet de discussions. Une autre spectatrice a rappelé que le manque d'argent d'une part croissante de la population pouvait expliquer la faiblesse des abonnements.
Claire Delahaie, consciente de ces difficultés, a souligné la responsabilité des médiathèques où son magazine était de moins en moins présent faute d'un travail d'accompagnement. De même, les journaux devaient correspondre exactement aux demandes des lecteurs qui ne supportaient aucune frustration mais en même temps écrivaient de moins en moins ou alors pouvaient, de plus en plus, adresser des courriers incendiaires, très violents et donc impubliables. La visibilité sur Internet était assuré par un site. Isabelle Vitté a rappelé que les journaux engagés n'étaient pas mis en avant dans les kiosques. Seul un service commercial très actif pouvait influer mais cela supposait des finances. La journaliste de Famosa a déploré l'absence de réponses de l'ensemble des médiathèques de Dordogne, suite à un mail pour promouvoir son journal dont l'abonnement annuel ne représentait que 20 euros. Pierre-Yves Ginet a lui aussi regretté la réaction des médiathèques qui ne jouaient plus la carte du service public mais répondaient aux critères du chiffre (réabonnement en fonction du nombre de prêts des magazines).
Une fémen dans le public est revenue sur la question du genre des interviewers peu important à ses yeux alors que primaient leur qualité d'écoute et leur disponibilité. Elle a estimé, par ailleurs, que ces journaux confidentiels devaient davantage être présents sur les réseaux sociaux. La bataille à mener se situait à ce niveau. Un article sur la Toile, sur Facebook notamment, avait une potentiel de diffusion bien plus important qu'en kiosque, du fait des partages. Elle a ainsi donné pour exemple son action de soutien (ironique) à Pénélope Fillon, sous forme de photographies torse nu, chaque femme tenant devant elle une feuille portant le slogan : #SupportPenelope. Il fallait créer une envie, un désir pour amener les lecteurs de la Toile à aller lire un article par une petite vidéo, un billet d'humeur...Ces rendez-vous numériques étaient une belle ressource, idée qu'a approuvée une jeune femme du public.
Carine Delahaie s'est déclarée en accord total avec ces remarques mais a fait observer que l'activité sur le web n'augmentait pas les abonnements, même si le magazine semblait plus visible. Ce fait a été confirmé par Pierre-Yves Ginet et par Isabelle Vitté. Celle-ci a rappelé que la diffusion quotidienne des sujets abordés dans le journal n'avait pas d'effet sur les ventes. Christine Ribeyreix est allée dans le même sens ajoutant que ce travail supposait un investissement en temps et donc un coût financier.
En conclusion, le rédacteur en chef de Femmes ici et ailleurs a souligné l'importance de l'information qui l'avait lui-même amené au féminisme, alors qu'il n'était pas destiné à cela, tout comme Claire Delahaie qui a pourtant découvert ce que l'écriture pouvait apporter comme liberté. Elle la vivait comme une passion, avec cette envie de véhiculer des idées. Cela l'avait ainsi amenée à oser afficher en couverture de son dernier numéro : "le 23 avril, tous ensemble contre les fachos".
L'absence de ressources publicitaires avait l'avantage de favoriser la liberté de parole et l'indépendance vis-à-vis de groupes qui auraient pu dicter une ligne éditoriale. En revanche, la rédactrice en cheffe a bien précisé que si des magazines comme le sien n'arrivaient pas à se maintenir, cela serait le signe d'un changement car leur présence révélait que quelque chose était possible. Isabelle Vitté a regretté que la survie des magazines soit liée à leur capacité à faire le buzz.
Cette table-ronde était précédée par une lecture par Monique Burg d'extraits de textes d'Olympe de Gouges, de Louise Michel et du récent texte d'Angela Davis à la marche des femmes à Washington le 21 janvier 2017, suite à l'élection de Donald Trump.
Elle était suivie d'une autre lecture (qui aurait gagné à une plus grande préparation), par Helena Noguerra, actrice, écrivaine, chanteuse, auteure de tribunes, marraine de l'action de Femmes Solidaires Dordogne pour la campagne nationale "Sexisme pas notre genre".
 
Elle avait retenu un texte de François Guérin sur Lou-Andréas Salomé (1861-1937), une femme de lettres allemande d'origine russe, muse de Rilke, de Nietzsche dont elle a lu quelques passages.
La journée se poursuivait par d'autres rencontres, lectures et se terminait par un concert au Palace dont nous vous reparlerons. Une autre journée toute aussi riche était programmée le lendemain.

 Texte et photos : Laura Sansot

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