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06/04/2017

CES DEUX-LA VALENT BIEN TOUS LES AUTRES

Le groupe toulousain Les Autres était en concert le 24 mars au Café Lib' de Bourrou avant de prendre le chemin d'un autre café associatif, celui du Caf'etcetera à Lalinde, le lendemain.
D'abord constitué en quintette, en 2008, le groupe est finalement devenu un duo, d'ailleurs très épuré loin de la formation rock électrique des débuts, à la faveur d'une amitié ancienne des deux compères, Emmanuel Demonsant et Timour Tokrev, rencontrés sur les bancs de l'école de musique, l'un pratiquant la trompette, aujourd'hui délaissée, et l'autre le piano.
 de gauche à droite : Emmanuel Demonsant, Nathalie Schreiber du Café Lib' présentant la soirée, Timour Tokarvev
Leur désir profond, c'est la chanson, par la "mise à nu qu'elle engendre", "ce côté abrupt sans arrangement", explique Manu, l'auteur-interprète. Les petits lieux comme les cafés associatifs, les maisons des particuliers, les petits festivals, favorisent cette entrée franche et directe dans les mots parce qu'ils peuvent se permettre d'enlever les filtres, de ne pas amplifier pour aller à l'essentiel, poursuit-il. Ce qui touche Manu : la mélodie et les textes dont il donne le squelette, pour chaque chanson, à Timour afin qu'il réalise les arrangements.
Ceux qui l'inspirent, des chanteurs à texte, comme l'on dit : pour les anciens, du temps où la liberté de ton était peut-être plus grande, estime-t-il, Brel, Brassens, Ferré, pour les contemporains, Christian Olivier des Têtes Raides, Manu Solo et surtout Valérian Renault dont la force des textes et des mélodies semblent imprégner le chanteur, la mélancolie peut-être en moins. Parce que, pour lui, la chanson doit être "légère", avoir un côté "ludique" tout en apportant quelque chose, néanmoins. "Quand on a les deux", la profondeur et la légèreté, considère-t-il, "c'est enivrant!" C'est pour lui un reflet de la vie qui alterne moments heureux et plus graves. Or, la chanson est un "condensé de vie" qui illustre cette alternance. Ses chansons, c'est en partie sa propre vie qui les inspire car "quand on écrit, ça ne vient pas de nulle part (...), c'est une réaction à ce que l'on vit" mais il "faut d'abord vivre avant d'écrire". Ces textes ne sont "pas" pour autant tous "en lien direct avec sa vie" mais celle-ci peut être "une impulsion vers autre chose".
La chanson Rien que pour toi semble donner en contre-point le portrait de son auteur qui par amour est prêt à agir à l'inverse de ce qu'il est, comme Vincent Delerm était prêt à tous les compromis dans la chanson Tes parents (2002)  pour se faire accepter par sa belle-famille. C'est l'image d'un jeune homme épris de liberté, rejetant les carcans, voulant vivre ses passions, qui transparaît dans des chansons comme La dernière fois que j'ai vu la mer : "Pourquoi faut-il être économe/avec ce qui est agréable?/ Pour quoi faut-il être raisonnable/ pour croire qu'on est dev'nu un homme?". Dans La chanson du vouloir, il souhaite qu'il y ait "plus d'ailes dans le mot "liberté"",  "moins de laisses au bout des chiens" Cette liberté va de pair avec le rêve pour ce grand brun ténébreux, qui semble venu de nulle part, se tenant très droit, très sérieux tout au long du spectacle pour mieux masquer quelques traits d'humour entre les chansons et au sein même de celles-ci, plutôt pince-sans-rire, une sorte d'"ambassadeur de la Lune sur la Terre", comme l'indique l'un des ses titres. Il revendique de venir d'un endroit où l'on peut encore rêver alors que "la loi de la pesanteur rappelle tout le monde à l'ordre" et pourtant, la Lune est à portée de chacun. Pas besoin de monter dans une fusée! Il rêve évidemment d'un monde meilleur "où il y aurait moins de S dans le mot SS", "qu'tout l'monde aille par deux/Sans marcher sur des oeufs" (La chanson du vouloir). Il rêve parce qu'il a gardé ses souvenirs de petit garçon : Je me souviens de tout, chante-t-il. Il se rappelle qu'"il attendait des heures du côté des merveilles" car "il n'arrivait jamais à trouver le sommeil".
   
Difficile de vivre dans ce monde quand on est aussi proche des lieux imaginaires. Cela lui donne un côté un peu décalé que l'on retrouve aussi chez Timour, le musicien. Celui-ci y ajoute un côté facétieux, aidé par un piano qui, toujours au service du texte, se montre tantôt calme, presque romantique, tantôt énergique, très rythmé et malicieux. On aura d'ailleurs apprécié, en fin de concert, sa manière très drôle d'inciter les spectateurs à consulter le site Internet et à faire l'acquisition de leur album intitulé Appartement 22. On aura souri aussi de la manière très originale de saluer le public.
Un peu en marge de ce monde très rationnel, même si c'est un garçon comme les autres qui n'est pas à l'abri d'une nuit d'ivresse (Entre deux bagnoles), il cherche sa place et ses chansons évoquent souvent des lieux concrets comme pour tenter de s'ancrer dans le monde. Même s'il a gardé cette charmante pointe d'accent toulousain, il nous parle de Lyon (Le Rhône ou la Saône) où il a vécu mais aussi de Paris (Bonjour Paris) où il s'est récemment installé, deux villes propices à développer ses deux arts de prédilection, le chant et le théâtre. On imagine que ce côté rêveur risque d'être malmené lors de rencontres avec les filles et en effet, il s'adresse ainsi à celle qu'il aime : "tu crois que je danse/tu t'en balances (...) tu malmènes mes chances (...) Je m'emballe, Je t'emballe/Toi, tu me déballes". Mais notre jeune homme plein d'espoir n'abandonne jamais et s'entête dans son amour impossible : Je tombe, je me relève, dit une de ses chansons très dansante voire galopante, accompagné du pianiste "qui doit envoyer du lourd", comme l'y invite le chanteur, un peu moqueur, une expression là aussi décalée dans un concert où les arrangements musicaux se font plutôt dans la finesse. Tout ceci pour mieux signifier à l'impassible jeune fille tous les efforts de plus en plus importants déployés. Quand l'amour semble inaccessible, il faut parfois se résigner. La chanson Pour t'oublier entreprend de décrire par le menu comment faire pour ne plus aimer... mais est-ce si facile? 
Alors, évidemment, quand on est un peu différent, on rêve de se "montrer plus réciproque/ Avec les gens de [s]on époque" (La chanson du vouloir) mais cela en vaut-il la peine car l'artiste voit ce que les autres ne voient pas encore? C'est sûrement pour cela que le groupe a pris ce nom. Il pré-existait à la formation musicale, se souvient Emmanuel Demonsant. Bien que polysémique, il interroge notamment le rapport à soi et aux autres, sa place dans le monde. Ce jeune homme, on l'imagine solitaire mais "sans s'la jouer solo" (L'homme qui court) et non dénué de convictions qu'il clame avec une diction forte et claire qui accompagne ses interprétations des chansons. Sans jamais se décourager, il avance comme l'homme qui court mais n'en oublie pas moins d'aimer : "Il déborde d'amour, y'en a pour dix/Si bien qu'il en largue des tonnes/il en sème à la place de la haine/Pendant des bornes et des bornes". D'ailleurs, les chansons d'amour parsèment le concert comme la première, la plus touchante : Il était sourd, elle était aveugle. Elle en dit autant sur les amours ceux en possession de leurs cinq sens que ceux qui en sont privés (du moins de l'ouïe ou de la vue) : "le coup de foudre, c'est reconnaître/Quelqu'un sans l'avoir jamais vu/Chanter une chanson à sa f'nêtre/sans l'avoir jamais entendue". Comme chez beaucoup de jeunes chanteurs, Emmanuel a composé une chanson en hommage à sa mère. Maman est à la fois un cri d'amour explicite et une déclaration qui se cache derrière des mots familiers, illustrant une certaine pudeur. C'est ce mélange très étonnant que l'on retrouve dans ces chansons à la fois poétiques et très concrètes, chez ces garçons en apparence très sérieux mais pleins d'humour, de cet humour sobre mais tout en finesse, soutenu par un piano toujours présent, très soutenant à la manière de celui d'un Boby Lapointe et riche de ses arrangements multiples et variés.
On passe un très agréable moment, presque trop court, avec ces deux jeunes gens qui nous transportent, avec délicatesse et sans le moindre artifice, dès les premières notes et par leur présence scénique, vers un autre univers pour mieux interroger notre monde si prosaïque. Un groupe discret mais que l'on vous incite à découvrir.
Pour retrouver l'actualité du groupe, voici le lien : https://legroupelesautres.bandcamp.com/

Texte et photos : Laura Sansot

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