Parce qu’il n’y a pas d’art sans engagement
Parce que les Arts disent que d’autres mondes sont possibles
Parce que des femmes et des hommes tentent de les construire
Parce que les Arts nous affranchissent des frontières et de l’enfermement
Parce que la Dordogne fourmille d’actions et de projets politiques alternatifs
Parce qu’aucun blog ne recense ce foisonnement d’activités militantes, politiques, artistiques et culturelles différentes,
Nous vous proposons Art Péri’Cité :
des agendas et des reportages sur les diverses manifestations ou activités

02/11/2017

LUTTE DES FEMMES EN ARGENTINE : TEMOIGNAGE DE L'AVOCATE GABRIELA CONDER

Le 19 octobre, Gabriela Conder était l’invitée de l’association Femmes Solidaires et de l'IUT, à Périgueux. Après un café féministe, la veille, au bar le Watson's, elle venait faire une conférence ouverte à tous sur la lutte et le droit des femmes en Argentine, sur le campus. Elle était proposée dans le cadre d’un projet tutoré du département CSGU (carrières sociales option gestion urbaine) en vue de créer une antenne d’Amnesty International à l'IUT.

Pascale Martin, la présidente de Femmes Solidaires Dordogne, a rappelé que le week-end précédent avait eu lieu à Paris le congrès national de l’association qui se tient tous les 3 ou 4 ans et au cours duquel sont définies les grandes orientations. Cette organisation féministe, laïque et universaliste accueille à chaque congrès « les invités de la planète » pour parler de ce qui se passe dans leur pays et pour imaginer ensemble comment les luttes pourraient être poursuivies. Car c’est par la lutte que l’on obtient des droits égaux entre hommes et femmes, a précisé la présidente. Depuis le mardi précédent, l'avocate était en Dordogne et devait achever son séjour par une rencontre avec le maire de Périgueux. Il était, en effet, important que des élus entendent la voix de ces femmes.
 
L’avocate argentine a expliqué, grâce à une traduction en français de Marie-Pierre Blanc-Perez, enseignante d'espagnol à l'IUT, qu’elle faisait partie d’un collectif d’avocats, équivalent du Barreau en France. Elle était membre aussi d’une organisation politique favorable à la création d’une seconde indépendance pour la libération nationale et sociale. En effet, il ne pouvait y avoir de libération nationale sans libération sociale qui passait par la fin de l’oppression du capitalisme. Cette association était l’émanation d’une structure plus ancienne constituée d’avocats qui avaient défendu les prisonniers politiques du temps de la dictature et qui en avaient subi les conséquences : beaucoup avaient disparu. Les survivants avaient souhaité créer en 2008 une nouvelle organisation.
Gabriela Conder a rappelé qu'avant la colonisation qui a tué 5-6 millions d’indigènes, la femme jouait un rôle social très important. Elle a pris aussi une part active dans la lutte y compris militaire contre l’envahisseur mais sa place dans la société sur le plan politique a totalement disparu après la défaite. Elle a évoqué plusieurs figures dont celle de Micaela Bastidas, la femme de Tupac Amaru II qui a lutté courageusement contre la colonisation espagnole avant d'être exécutée. 
Cela a forgé chez ce peuple une forte conscience de l'oppression et de son origine, le capitalisme. Ce qui s'est passé au Chili, à Cuba, après la seconde guerre mondiale, a généré un espoir vite déçu avec l'arrivée de la dictature et ses 30 000 disparus. Il n'empêche que des femmes se sont battues héroïquement et jusqu'au bout comme Maria Victoria dit Vicki Walsh en affrontant l'armée du toit de la maison de son père, le 29 septembre 1976. Depuis le 30 avril 1977, des femmes se réunissent sur la place de mai à Buenos Aires, en face de la Casa Rosada, siège du gouvernement, pour dénoncer la disparition de leurs enfants et briser le silence. Elles n'ont jamais souhaité le soutien des hommes de leur famille considérant qu'étant femmes, elles ne risquaient rien. La société estimait qu'elles n'étaient pas capables de lutter comme les hommes. Pourtant, plusieurs des fondatrices du mouvement ont été assassinées, après l'infiltration d'un militaire dans leur groupe qui a dénoncé les leaders. Les marches hebdomadaires, les jeudis à 15h se poursuivent encore aujourd'hui car ces femmes cherchent la trace de nombreux disparus. Une demande de la part des associations d'avocats a été faite auprès du gouvernement et de l'Eglise pour réclamer l'ouverture des archives. Environ 500 enfants nés dans des camps de concentration ont été volés à leurs parents pour être adoptés par des familles de militaires. Leur identité a été changée. Seuls 120 enfants ont recouvré leur identité d'origine. Gabriela Conder est leur avocate.
La lutte continue dans ce domaine mais aussi contre la société patriarcale et capitaliste car le féminisme en Argentine est avant tout anti-capitaliste. Des tentatives de féminisme capitaliste ont toutes échoué car ce modèle économique opprime davantage les femmes que les hommes. La lutte aux Etats-Unis, en Europe pour l'égalité des salaires entre hommes et femmes illustre l'inégalité que ce système engendre. En outre, le combat féministe est une affaire collective.
En Argentine, l'avortement n'est pas autorisé mais des associations viennent en aide aux femmes qui souhaitent y avoir recours tandis que d'autres se battent sur le terrain des abus sexuels sur enfants, de la prostitution. Beaucoup de réseaux enlèvent les femmes de leur région d'origine pour les conduire vers les lieux de la prostitution. Dès que des femmes disparaissent, le collectif d'avocats diffuse l'information sur les réseaux sociaux et organise des marches pour frapper l'opinion et il arrive souvent que la femme recherchée réapparaisse. Ce sont des femmes aussi qui se battent contre Mosanto en barrant la route aux camions remplis de pesticides, notamment dans le centre du pays, du côté de Cordoba. Elles se mobilisent contre les crimes perpétrés par la police auprès d'adolescents, entre 13 et 20 ans, pauvres touchés par la drogue : "un génocide" à petit feu, selon l'avocate. 
Le week-end qui précédait cette conférence, avait eu lieu en Argentine un rassemblement de 70 000 femmes qui portaient plusieurs revendications : la défense du peuple indigène Mapuche, celle des femmes afin qu'elles ne soient plus assassinées, une loi autorisant l'avortement. L'Amérique Latine est profondément féministe et les femmes qui luttent sont fières de porter leur combat. Elles ont la certitude que leur continent ne sera bientôt plus capitaliste. Selon Gabriela Conder, plus les femmes dénonceront les inégalités hommes-femmes, plus elles affirmeront leurs forces. Elles doivent sortir de leur rôle de victime. Pourtant, une auditrice a observé que plusieurs femmes étaient devenues présidentes de la République sur ce continent. Si le système de parité permet une bonne représentation politique des femmes, l'avocate a fait remarquer que le fait d'être une femme politique n'était pas un gage de défense de la cause féministe. D'ailleurs, Michelle Bachelet est le chef de l'Etat qui a le plus combattu les Mapuche. 20 femmes de cette ethnie ont été emprisonnées pour des raisons politiques. 
Interrogée sur le mouvement #balancetonporc et plus généralement sur la prise de conscience qui anime les réseaux sociaux en ce moment au sujet des maltraitances faites aux femmes, suite à l'affaire Harvey Weinstein, elle a souligné leurs importances. Ils permettaient de réaliser où nous en étions. En Argentine aussi, les langues se sont déliées après qu'une fille violée par un chanteur de rock connu a dénoncé ces agissements. Toutefois, même si cela est fondamental et constitue une première étape, il ne suffit pas de dénoncer. Il convient, d'une part, de porter plainte, de porter les violences devant les tribunaux pour éviter d'être accusée de diffamation et, d'autre part, d'apporter un soutien psychologique aux victimes. Le chanteur de rock évoqué a déjà obtenu 60 témoignages en sa faveur mais les femmes ne vont pas se laisser faire, a déclaré l'avocate. Si l'une des membres de l'assistance a considéré que la lutte féministe ne devait pas se résumer à des slogans et à des "like" sur les réseaux sociaux, une jeune femme s'est réjoui de cette libération de la parole. Hélène Reys, candidate à la députation lors de la dernière législative, quant à elle, a rejoint les propos de l'avocate. Les dénonciations devaient se faire dans un cadre juridique. En Argentine, dénoncer un abus est un véritable acte politique. Il reste que partout dans le monde, faire le premier pas en dénonçant est la chose la plus importante, selon Gabriela Conder. Tous les moyens sont bons pour cela. Ensuite, vient le temps pour les femmes de s'organiser collectivement.

Une question a porté sur la liberté d'action de l'association dont faisait partie l'avocate. Celle-ci a donné l'exemple d'une consoeur membre du Barreau qui avait dénoncé la fabrication de fausses preuves par la police et n'avait pas été suivie par le procureur. Elle risquait même de se voir retirer sa carte professionnelle. Gabriela Conder a elle-même reçu des menaces par téléphone mais cela ne la décourage pas. 
Si son association d'avocats rassemble plusieurs tendances politiques, elle n'a pas d'action politique à visée électorale. En revanche, par ses différentes actions, elle contribue à la vie politique du pays. Un certain nombre de partis politiques soutiennent la cause des femmes à des fins électoralistes, les femmes constituant la moitié des électeurs. Son association ne reçoit pas de subvention. Quand elle va au Pérou rencontrer des prisonnières, elle finance le voyage sur ses propres deniers et l'assure sur son temps personnel. C'est une forme de militantisme qui s'ajoute à son travail d'avocate. Pascale Martin a d'ailleurs souligné son investissement considérable qu'elle a pu observer en allant la rencontrer en Argentine au préalable de sa venue en France. 
Gatienne Doat, très impliquée dans la cause des femmes en Dordogne, a rappelé les propos de la réalisatrice Agnès Varda selon laquelle les femmes n'étaient pas assez en colère alors que beaucoup d'entre elles avaient subi à un moment donné de leur vie des situations de harcèlement. Il était grand temps qu'elles se manifestent. Elles l'avaient fait pendant la seconde guerre mondiale, dans les années 70. Certes, des lois existaient mais elles n'étaient pas nécessairement effectives. La lutte supposait de se rassembler. La conteuse et féministe Monique Burg s'est demandée s'il fallait qu'il y ait des morts pour que les femmes réagissent. Gatienne Doat a rappelé la forte mobilisation des femmes pour le droit à l'avortement quand il y avait des attentats dans les cliniques. Actuellement, la mobilisation à Périgueux se faisait autour de l'affiche jugée sexiste "A Périgueux, je shoppe à ciel ouvert!".
Un débat a eu lieu ensuite au sujet de la contraception, les femmes plus âgées affirmant la nécessité de la contrôler soi-même car c'était encore la femme qui portait l'enfant. Une femme plus jeune évoquait surtout un dialogue dans le couple.
La conférence-débat s'est clôturée par un "Presente, ahora y siempre, hasta la victoria, venceremos" lancé par l'avocate et repris par l'assemblée. 

Texte et photos : Laura Sansot

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire